Il y a 107 ans, Józef Piłsudski prenait le pouvoir au Conseil de régence.

Le 11 novembre 1918, le Conseil de régence transféra l'autorité militaire et le commandement suprême des forces polonaises sous son contrôle à Józef Piłsudski. Cet événement devint un symbole du recouvrement de l'indépendance de la Pologne.
À la fin octobre et au début novembre 1918, face à l'effondrement de la monarchie austro-hongroise et à l'annonce de la défaite imminente de l'Allemagne, les Polonais sentaient de plus en plus que la restauration d'un État polonais indépendant était proche.
La situation internationale était exceptionnellement favorable à la Pologne. Quatre ans plus tôt, au début de la Première Guerre mondiale, les Polonais n'auraient pu que rêver qu'à la fin du conflit, les trois puissances qui se partageaient l'Europe seraient pratiquement impuissantes.
Les Polonais ne laissèrent pas passer cette occasion historique et entreprirent activement de prendre le pouvoir dans les territoires polonais occupés par les Puissances centrales. Le Conseil national du duché de Cieszyn, présidé par le père Józef Londzin, siégeait à Cieszyn depuis le 19 octobre 1918 et exerçait des fonctions gouvernementales. Le 28 octobre 1918, à Cracovie, les députés polonais au Parlement autrichien créèrent la Commission polonaise de liquidation, qui prit le pouvoir en Galicie deux jours plus tard. Elle était dirigée par Wincenty Witos, chef du Parti populaire polonais (PSL) « Piast ».
Le 31 octobre, la prise de pouvoir commença dans la partie du Royaume occupée par l'Autriche-Hongrie. Dans la nuit du 6 au 7 novembre, à Lublin, occupée quelques jours auparavant, le Gouvernement populaire provisoire de la République de Pologne fut instauré, avec Ignacy Daszyński, chef des socialistes galiciens, comme Premier ministre.
Un Conseil de régence, établi par l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie, était en fonction à Varsovie depuis septembre 1917. Parmi ses membres figuraient le prince Zdzisław Lubomirski, l'archevêque Aleksander Kakowski et le comte Józef Ostrowski. En décembre 1917, ce Conseil de régence forma un cabinet de ministres, dirigé par Jan Kucharzewski.
L'historien Andrzej Garlicki, commentant les actions du Conseil de régence, a déclaré : « Le Conseil de régence, surtout vers la fin de son existence, jouissait d'une très mauvaise réputation au sein de la société polonaise. On lui reprochait sa trop grande soumission aux occupants et ses idées conservatrices, et ces critiques étaient justifiées. Toutefois, il faut également reconnaître que la prise en charge progressive de divers aspects de la vie sociale aux dépens des occupants a constitué un excellent terrain d'apprentissage pour les futurs fonctionnaires de l'État polonais. On pourrait multiplier les exemples, mais prenons-en un seul : les premiers travaux sur la constitution de la Pologne indépendante ont été entrepris sous le Conseil de régence, et nombre de ses dispositions ont été ultérieurement intégrées à la Constitution. L'hostilité de la majorité de la société envers le Conseil et les institutions qu'il avait mises en place était également due à la dégradation rapide de la situation économique de la population. »
Au début du mois de novembre 1918, les régents comprirent que leur rôle politique touchait à sa fin et tentèrent de nommer un gouvernement qui bénéficierait d'un large soutien populaire et auquel ils pourraient remettre le pouvoir, convaincus qu'il organiserait des élections à la Diète (Sejm) dès que possible.
La situation politique à Varsovie changea radicalement avec l'arrivée de Józef Piłsudski, libéré de la forteresse de Magdebourg, à bord d'un train spécial en provenance de Berlin le 10 novembre 1918. À la gare centrale, il fut accueilli, entre autres, par le prince Zdzisław Lubomirski, représentant le Conseil de régence.
Le professeur Tomasz Schramm a décrit la situation dans laquelle se trouvait Piłsudski en novembre 1918 comme suit : « Il incarnait un facteur politique de taille : un leader fort du soutien des prisonniers de guerre, auréolé du souvenir de sa longue activité, de son exil, de son emprisonnement par le tsar, et enfin des actions menées entre 1914 et 1917 et de ses seize mois d'emprisonnement à Magdebourg, un homme considéré par la gauche comme l'un des leurs, par la droite – quoique réticente – comme une soupape de sécurité protégeant contre la révolution ; rares étaient ceux qui pouvaient remettre en question son patriotisme désintéressé à cette époque. »
Dès son arrivée à Varsovie, Piłsudski s'entretint avec les membres du Conseil de régence. Il annula ainsi son voyage prévu à Lublin, où le Gouvernement provisoire de la République de Pologne, dirigé par Ignacy Daszyński, était en fonction depuis trois jours dans les territoires libérés. Ce gouvernement se mit d'ailleurs à sa disposition dès qu'il apprit son retour de Magdebourg.
La décision de Piłsudski de rester dans la capitale fut sans aucun doute influencée par le fait que, le jour de son arrivée à Varsovie, l'occupation allemande était déjà en déclin et que la perspective d'établir un gouvernement national dans la capitale semblait très proche.
Le gouverneur général, le général Hans von Beseler, s'enfuit secrètement de la ville, et l'Organisation militaire polonaise (POW), appuyée par des soldats des forces armées polonaises sous le commandement du Conseil de régence, entreprit de désarmer les unités allemandes stationnées à Varsovie. L'opération de désarmement se déroula généralement sans combat, malgré quelques affrontements violents, notamment lors de la prise de l'hôtel de ville et de la citadelle.
Heureusement, la plupart des soldats allemands étaient surtout préoccupés par le retour au pays au plus vite. Cependant, s'ils avaient résisté, le jeune État polonais se serait trouvé dans une situation critique. À ce moment-là, on comptait environ 30 000 soldats et officiers allemands rien qu'à Varsovie, 80 000 dans tout le royaume et un total d'environ 600 000 sur le front de l'Est.
Dès son arrivée dans la capitale, Piłsudski aborda la question de l'évacuation de l'armée allemande. Le 10 novembre, il rencontra le Conseil central des soldats allemands. Grâce aux accords conclus, les unités allemandes furent évacuées du Royaume le 19 novembre. L'arrivée de Piłsudski à Varsovie précéda d'un seul jour l'annonce de la signature d'un armistice par une délégation gouvernementale allemande près de Compiègne, mettant fin aux combats de la Première Guerre mondiale.
En ces jours-là, les Polonais prirent conscience qu'après des années d'oppression, ils avaient recouvré leur indépendance. Jędrzej Moraczewski se souvient de l'atmosphère de ce moment exceptionnel : « Il est impossible de décrire l'extase, la joie immense qui s'est emparée du peuple polonais à cet instant. Après 120 ans, les chaînes étaient brisées. Il n'y avait plus d'« eux ». Liberté ! Indépendance ! Réunification ! Notre propre État ! Pour toujours ! Le chaos ? Ce n'est rien. Tout ira bien. Tout ira bien, car nous sommes libérés des parasites, des voleurs, des brigands, de ce chapeau à visière, nous nous gouvernerons nous-mêmes. (…) Quiconque n'a pas vécu ces quelques jours, qui n'a pas partagé la joie de toute la nation, ne connaîtra jamais la plus grande joie de sa vie. »
Le 11 novembre 1918, le Conseil de régence, « face au danger imminent extérieur et intérieur, afin d’unifier tous les ordres militaires et de maintenir l’ordre dans le pays », a remis l’autorité militaire et le commandement suprême des troupes polonaises qui lui étaient subordonnées au brigadier Józef Piłsudski.
Trois jours plus tard, le Conseil de régence se dissout, déclarant : « À partir de maintenant, nous confions nos devoirs et nos responsabilités envers la nation polonaise à votre gouvernement, Monsieur le Commandant suprême, afin qu'ils soient transférés au Gouvernement national. »
Bénéficiant d'un large soutien populaire, Piłsudski décida de s'emparer du pouvoir des régents, affirmant ainsi sa continuité et sa légalité. Cette procédure ne fit pas l'unanimité, certains faisant remarquer que Piłsudski ne devait pas succéder à une institution établie par les occupants. Malgré ces objections, Piłsudski devint le dirigeant de facto du jeune État polonais. Le gouvernement de Lublin fut dissous, le Conseil de régence démissionna et la Commission polonaise de liquidation entérina la situation.
Le 13 novembre, Piłsudski confia à Ignacy Daszyński, ancien chef du gouvernement de Lublin, la formation d'un nouveau cabinet. Cette mission échoua cependant, principalement en raison de l'opposition des partis de droite, notamment de Démocratie nationale.
Finalement, le 18 novembre, le premier gouvernement officiel de la Pologne indépendante fut formé par un autre socialiste, Jędrzej Moraczewski, qui ne suscita pas autant de crainte au sein de la droite que Daszyński.
Quatre jours plus tard, le 22 novembre 1918, un nouveau gouvernement fut formé et Piłsudski approuva le « Décret sur l'Autorité représentative suprême de la République de Pologne ». En vertu de ce décret, qui faisait office de loi fondamentale, Piłsudski assuma, en tant que chef d'État provisoire, l'« Autorité suprême de la République de Pologne », fonction qu'il occupa jusqu'à la convocation de la Diète législative.
Par décret du 28 novembre 1918, les élections à la Diète (Sejm) furent fixées au 26 janvier 1919.
Novembre 1918 marquait le début de la construction d'une Pologne indépendante et la lutte pour ses frontières. Le 29 novembre 1918, Piłsudski, s'adressant à ses plus proches collaborateurs au palais du Belvédère, évoquait l'indépendance retrouvée : « Il s'agit de la plus grande et de la plus importante transformation qui puisse survenir dans la vie d'une nation. Une transformation dont les conséquences doivent être l'oubli du passé ; les vieux comptes doivent être effacés d'une croix. Le temps nous est compté, et ce n'est que par un effort commun que nous pourrons décider de l'espace et des limites dans lesquels nous consoliderons notre liberté, et de la fermeté avec laquelle nous tiendrons bon face à nos voisins de l'est et de l'ouest qui recouvreront leurs forces et toute leur influence. » (PAP)
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