Trois frontières. Pollution aux PFAS : une batterie de mesures dans les tuyaux de Saint-Louis agglomération

« On ne peut pas dire que nous n’avons raisonnablement rien fait durant 18 mois », prononce Jean-Marc Deichtmann, ce mercredi 14 mai, lors d’un conseil communautaire animé, largement consacré aux PFAS. Les élus de Saint-Louis agglomération ont été informés fin 2023 de la présence de ces polluants éternels dans plusieurs puits de captage, qui servent à alimenter en eau potable onze communes de l’agglo (Bartenheim, Blotzheim, Buschwiller, Hégenheim, Hésingue, Huningue, Kembs, Neuwiller, Rosenau, Saint-Louis, Village-Neuf). Une grande partie de la pollution de l’eau souterraine étant due aux mousses anti-incendie utilisées, jusqu’à leur interdiction en 2017, sur la plateforme aéroportuaire de l’EuroAirport.
« Le puits le plus pollué, celui de l’aéroport, a été fermé dès novembre 2023. Il y a eu un suivi renforcé, une analyse régulière de l’eau, des avis sanitaires du Haut conseil de la santé publique, une instruction ministérielle et un avis de l’Agence régionale de santé Grand Est… Aujourd’hui, nous avons un plan concret, clair et précis », poursuit le président de l’agglo. Il fait à la fois référence à l’arrêté de la préfecture du Haut-Rhin, entré en vigueur le 5 mai – et qui le sera jusqu’à la fin de l’année 2025 –, restreignant l’usage de l’eau du robinet aux personnes définies comme « sensibles » de ces onze communes : les femmes enceintes et allaitantes, les nourrissons jusqu’à 2 ans et les personnes immunodéprimées.
Précisions du vice-président de Saint-Louis agglo ayant la délégation de l’eau, Thierry Litzler : « Les habitants des 29 autres communes ne sont pas concernés par ces mesures. Les rapports certifient qu’il n’y a pas de trace de PFAS dans leurs relevés d’eau, cela a été confirmé par l’Agence régionale de santé. Et l’eau que nous vendons à la communauté de communes Sundgau ainsi qu’à Mulhouse Alsace agglomération est issue de sites de distribution qui ne sont pas impactés par ces PFAS. »

Chez Leclerc à Saint-Louis, les rayons de packs d’eau se vident et se remplissent très rapidement depuis l’annonce de la pollution aux polluants éternels. Photo Jean-François Frey
Jean-Marc Deichtmann fait également référence à la mise en œuvre des unités mobiles de traitement de l’eau, au niveau des puits de captage de Bartenheim, de Hésingue et de Saint-Louis, l’une des délibérations proposées au conseil communautaire ce mercredi soir. « La mise en place de ces unités doit se faire le plus rapidement possible », commente Thierry Litzler. Compte tenu de la nécessité de rétablir une eau potable distribuée aux usagers du territoire qui soit de qualité, l’agglomération va recourir aux dispositions du Code de la commande publique, permettant de conclure un marché sans publicité ni mise en concurrence préalables.
« Notre prestataire, Veolia [ retenu comme délégataire de service public pour l’eau pour les douze ans à venir ] pourra ensuite acheminer les unités mobiles de traitement sur les sites impactés, entre octobre et décembre 2025. » En parallèle, des stations de traitement dédiées à l’élimination des PFAS seront construites sur les trois sites, « celles-ci devant être opérationnelles d’ici mi-2027 », avance le président de Saint-Louis agglo.
Ces unités mobiles de traitement de l’eau fonctionneront avec du charbon actif en grains. « Cela a été prouvé que cette solution technique fonctionne. Ces charbons peuvent être régénérés mais une seule fois », reprend Thierry Litzler. « Ensuite, ils sont brûlés à 1 200 degrés, garantissant ainsi qu’il n’y a plus de molécule de PFAS sur la membrane charbon. » Pourquoi l’agglo n’a pas retenu la technique de l’osmose inverse ? « En termes de solution, ce serait la Rolls-Royce. Mais comme une Rolls-Royce, ça pollue et c’est une gabegie environnementale, qui coûte plus cher en énergie », observe le vice-président délégué à l’eau. « Nous prenons cette affaire au sérieux, car nous voulons une eau aux normes avant fin 2025. Bien que l’on ne sache pas depuis combien d’années ni combien de décennies ces PFAS sont présents dans l’eau, aucune recherche n’ayant été effectuée à ce sujet. Ce qui est sûr, c’est qu’ils ne sont pas apparus en 2023 », considère Jean-Marc Deichtmann.
Patrick Striby fait longuement part de son étonnement. « Qu’avez-vous fait depuis que vous avez été mis au courant, fin 2023 ? », questionne le conseiller communautaire. « Pendant 18 mois, il n’y a eu aucune mesure de prise pour faire diminuer cette quantité importante de PFAS. » « Je n’ai pas la science infuse. Le temps n’a pas été perdu. Ce n’était pas à l’agglo de dire que nous allions mettre en place des unités mobiles de traitement », lui répond le président Deichtmann. « Que vont avoir comme importance six mois ou 24 mois par rapport à trente ans ? Si le danger était aussi important que vous semblez vouloir le dire, alors que nous sommes dans un pays où il y a encore des institutions, si on nous permet de nous empoisonner avec cette eau, c’est incohérent. »

Mi-avril, par principe de précaution, la Ville de Blotzheim a lancé une distribution d'eau de source en bouteille aux enfants qui fréquentent ses accueils périscolaires. Photo Sébastien Spitaleri
Revenant à la charge, Patrick Striby s’interroge également sur la « préréservation d’unités mobiles de traitement, en urgence », avant mi-janvier 2024. « C’est très simple. Il y a eu une demande d’analyses pour voir comment traiter cette pollution, avec des échantillons. Il fallait faire des essais, pour savoir si c’était pertinent d’utiliser du charbon actif ou de l’osmose inverse. C’est notre délégataire qui a pris cela en charge, les analyses se portant sur des quantités d’eau restreintes », rétorque Jean-Marc Deichtmann.
D’autres voix s’élèvent, prenant de la hauteur sur ces polluants éternels. Stéphane Rodde, maire de Ranspach-le-Haut : « On fait face à un flot d’informations, montrant que la concentration des PFAS ne résulte pas que de l’eau. Je me suis fait tester. Je ne suis pas concerné par l’eau polluée et j’ai pourtant, dans le sang, des taux deux fois et demi supérieurs aux taux relevés dans le sang des riverains de l’EuroAirport ». Pour lui, « il reste impossible de tirer des conclusions quant à l’origine de la pollution aux PFAS à laquelle est soumise la population ».
« Dans cette affaire, c’est notre rapport au vivant dont il s’agit », renchérit Philippe Knibiely, vice-président de l’agglo délégué à l’environnement, au climat et à l’énergie. « Oui, nous aurions pu être informés plus tôt. Notre responsabilité aujourd’hui, c’est de trouver des solutions, de mettre en place ces solutions de traitement au plus vite. Mon conseil à la population : commencez à faire attention à vos ustensiles de cuisine, aux boîtes à pizza, aux farts de ski, aux cosmétiques, à tout ce qui retient l’eau… Changeons nos pratiques, changeons nos modes de vie ! »
Le conseil communautaire, qui se réunira à nouveau le 25 juin, a approuvé la signature d’un marché public de fourniture et de mise en œuvre d’unités mobiles de traitement des PFAS.

L’agglo va rembourser les bouteilles d’eau
Autre décision prise mercredi soir, à l’unanimité moins une abstention, celle d’un dispositif durant jusqu’au 31 décembre d’aide financière à l’achat de bouteilles d’eau potable, destiné aux personnes définies comme « sensibles ». Près de 3 500 personnes seraient ainsi concernées et les besoins sont évalués à 280 000 € hors taxes.
La situation étant là encore considérée comme urgente, l’agglo n’étant pas en mesure de respecter les délais de mise en œuvre d’une procédure formalisée ni même de procéder à toute publicité et mise en concurrence, celle-ci va acquérir des titres de paiement, prenant la forme de tickets services, à usage alimentaire exclusivement. Pour un montant total de 80 € par personne « sensible ». Ce qui correspondrait à « la consommation journalière d’eau de boisson par usager impacté, entre le 15 mai et le 31 décembre 2025 », sur la base d’un coût d’achat de 0,15 € le litre d’eau en bouteille.
Parmi les conditions d’attribution, il sera nécessaire de présenter une attestation médicale précisant que la personne entre la catégorie des personnes « sensibles ». « Surtout, ne pas se précipiter chez son médecin pour faire cette attestation. Si le médecin pense qu’elle est nécessaire, elle sera remplie et la personne sera remboursée, pas de souci là-dessus », préconise Isabelle Trendel, vice-présidente de Saint-Louis agglo déléguée à la santé.
Coût et participation
Ces mesures représentent un coût global d’investissement estimé à 20 millions d’euros hors taxes : 6,5 millions pour les unités mobiles de traitement et jusqu’à 13,5 millions pour les usines, sans parler des 600 000 € annuels de fonctionnement pour ces usines. « Un accord de cofinancement avec l’EuroAirport est dans les tuyaux bien que nous ne connaissions pas encore son montant. En tout cas, il est hors de question que cette somme abondante soit payée par le contribuable », annonce Jean-Marc Deichtmann.
Saint-Louis agglomération s’est engagée à ne pas revoir à la hausse le prix de l’eau en 2025. Son objectif pour 2026 est limpide : pas d’augmentation, « ou alors que cela se fasse sur une portion congrue, avec l’aide de nos partenaires », note Thierry Litzler. Bien qu’en l’état actuel, et s’il n’y a pas de financement extérieur, une augmentation du prix de l’eau paraît inéluctable. Se projetant en 2027, Thierry Litzler indique encore qu’il faudra tendre vers « une harmonisation des tarifs à l’échelle de l’agglo, devant tenir compte du prix de l’eau, de la construction de ces unités mobiles et des usines et de la problématique des PFAS ».
Le maire de Neuwiller attend des réponses
Des questions circulent à Neuwiller, parmi les 527 habitants, souligne le maire, Carmelo Milintenda. « Savait-on qu’il y avait des PFAS dans l’eau, avant le raccordement jusqu’à Neuwiller ? » « Celui-ci a eu lieu en 2021, bien avant que nous soyons informés de la situation. C’est la faute à pas de chance », reconnaît Jean-Marc Deichtmann. « J’aimerais que Saint-Louis agglo mette en place une circulaire, à l’attention des habitants, pour expliquer les choses et le pourquoi de cette interconnexion. Car je me dois de répondre à mes administrés », en appelle Carmelo Milintenda. « Je me tiens à disposition pour préparer ce texte et expliquer ce raccordement », l’informe Thierry Litzler.
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