Le crépuscule des iconoclastes

Autrefois, des images et des cartes postales étaient vendues sur les étals des mosquées, ainsi que des chapelets et des livres de prières. La plus intéressante était l'image de Gabriel descendant du ciel sur un bélier, alors que le prophète Abraham s'apprêtait à tuer son fils Ismaël. Si l'on connaissait le récit religieux sur le sujet, impossible de ne pas reconnaître qui était qui en regardant cette image : voici Gabriel, car il a des ailes ; voici Abraham, car il s'apprête à égorger l'enfant couché sur l'autel devant lui, un couteau à la main ; et voici Ismaël, couché, soumis, les yeux fermés, attendant la mort.
C'est le fruit d'une culture narrative visuelle qui a débuté avec les religions polythéistes méditerranéennes et a atteint son apogée dans l'iconographie chrétienne. Dans ce style narratif, toutes les figures religieuses sont représentées avec des détails mythiques qui les rendent uniques. Celui qui tient l'éclair est Zeus ; celui qui lève sa fourche à trois dents est Poséidon, le dieu de la mer, etc.
Il existe des règles strictes pour le langage de l'expression visuelle : dans aucun tableau, sculpture, bande dessinée ou dessin animé, on ne peut voir Moïse représenté portant un chapeau et une veste en feutre. Même dans les œuvres postmodernes qui ignorent les faits historiques et l'ordre chronologique – anachroniques –, Moïse n'est pas représenté ainsi. Car alors, on ne comprendrait pas qu'il s'agit de Moïse, et le spectateur le percevrait comme un « Moïse » ordinaire.
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Si vous voulez dessiner le prophète Moïse, dessinez-le de telle sorte que tous ceux qui le voient s'exclament : « Ah, c'est bien le prophète Moïse ! » Autrement dit, il ne suffit pas de dessiner un personnage dont personne ne connaît la physiologie et le visage, mentionné uniquement dans les récits religieux comme un homme à la longue barbe blanche, vêtu d'une robe, parfois coiffé d'un turban. Pour montrer qu'il s'agit bien du prophète Moïse, et non d'un simple Moyen-Oriental ayant vécu il y a 3 300 ans, il vous faut utiliser quelques symboles simples : un homme tenant une tablette de pierre dans chaque main, debout au bord de la mer, son bâton levé vers le ciel, ou attendant devant un buisson ardent…
C'est comme ça : par exemple, connaissez-vous les traits physionomiques du prophète Noé ? Non. Donc, si vous dessinez Noé, vous devez montrer la construction de l'arche, les animaux qui y montent, etc. Ainsi, un homme ordinaire portant un manteau et une barbe cesse d'être un « homme ordinaire avec un manteau et une barbe » pour devenir le prophète Noé.
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Grâce à ce langage visuel, dont les règles sont déterminées par des images religieuses – les icônes –, nous découvrons Jésus, Moïse, Noé, le prophète Jonas dans le ventre d'un poisson, le prophète Job dont le corps est couvert de blessures. Mais pour le prophète Mahomet, la tâche devient plus complexe en raison de l'interdiction stricte du dessin en islam. Les dessins du prophète Mahomet ne peuvent être compris que « parce que son dessin est inexistant ». Par exemple, on le retrouve fréquemment dans les anciennes miniatures persanes : à l'endroit le plus particulier du cadre, on voit un personnage dont la tête émet des lumières, mais dont le visage est invisible. Quiconque connaît l'interdiction du dessin en islam peut deviner de qui il s'agit, même sans connaître la date de la miniature qu'il regarde.
Dans les œuvres visuelles non islamiques, comme les caricatures de Charlie Hebdo mettant en scène le prophète Mahomet, on retrouve ce langage visuel universel. Par exemple, sur la couverture de l'album de bandes dessinées La Vie de Mahomet, dont le texte a été écrit par Zineb et les dessins par Charb, figure un personnage chevauchant un cheval ailé s'élevant vers le ciel. Quiconque a entendu l'histoire du Miraj, ne serait-ce qu'à l'oreille, peut deviner l'identité du personnage de cette caricature.
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Maintenant, posez la main sur votre cœur, regardez à nouveau le dessin de Gaza publié dans le magazine LeMan le 26 juin 2025, à la lumière de milliers d'années d'histoire des arts visuels, et vous verrez : ces deux hommes, montés au ciel après avoir péri dans un contexte de guerre, sont clairement des figures de notre époque. Il ne s'agit pas du prophète Mahomet et du prophète Moïse, mais de deux hommes nommés Mahomet et Moïse. Si le dessinateur avait voulu exprimer qu'il ne s'agissait pas de deux personnages ordinaires, mais de deux noms importants dans l'histoire des religions, il aurait pu le faire facilement en ajoutant des symboles au dessin.
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Tout d’abord, dire que deux prophètes ont été représentés dans cette caricature et ensuite insulter ces personnes n’est possible qu’avec de très mauvaises intentions.
Les partisans du massacre qui ont attaqué LeMan Kültür ce jour-là n'ont peut-être pas pu considérer le dessin avec sérieux, peut-être par crainte de commettre un péché. Alors, comment des magistrats, diplômés de l'université et que l'on peut considérer comme quelque peu éclairés, peuvent-ils interpréter ce dessin extrêmement simple et en tirer de telles significations ?
BirGün