Poésie et politique : Martín Rodríguez et Santiago Llach

Une génération, si tant est qu'elle existe, est tout sauf un ensemble homogène et compact. Seule la mort demeure immobile ; par conséquent, une génération vivante et dynamique est nécessairement chaotique et en perpétuel mouvement intérieur. Et pour embrasser l'ensemble du tableau et ne rien manquer, il faut prendre du recul. La distance la plus pertinente est toujours celle du temps, qui passe, court, s'envole et, à un moment donné, fixe les choses.
Quand on pense à la poésie argentine, les années 1990 apparaissent comme une période marquée par un sentiment de rupture, de visibilité, de mystère et de renouveau, tout en restant figée dans le temps. Dans cette perspective historique, une génération s'est cristallisée dans l'imaginaire de certains lecteurs, si tant est que cela soit encore possible. Les anthologies *Poesía mundial * (Neutrinos) de Martín Rodríguez et *Padres y maestros* (Híbrida) de Santiago Llach , rassemblant des poètes dont la publication a débuté à la fin des années 1990, nous incitent à considérer qu'une génération est bien plus complexe qu'une simple période entre deux dates.
Rodríguez (Buenos Aires, 1978) C'est un poète qui aborde son œuvre avec des mots explorant de multiples perspectives – microhistorique, familière, les failles institutionnelles – qui s'entrecroisent. Finalement, ces flots de sens semblent converger dans l'océan de la politique, au sens existentiel du terme, chargé de peur, de violence et de tremblements. Comment vivre lorsque la subjectivité est broyée par l'oppression d'un système aussi inégalitaire ?
Certains de ses titres sont explicites : Maternidad Sardá, Paraguay . Mais Rodríguez ne cède jamais aux slogans partisans ni à la tentation d’une exploitation simpliste ; ses vers balayent toute simplicité, cherchant à défier toute idée reçue concernant les discours sur « les pauvres ». C’est une position – appréhender le monde depuis la base – qu’il a maintenue de 1998 à 2018.
Dans Parents et enseignants , Santiago Llach (Buenos Aires, 1972) écrit en préambule : « Je suis un enfant de mon temps, un enfant qui, comme tant d’autres, se croyait le premier à faire descendre la beauté de son piédestal. » Sur une période allant de 1995 à 2024, dont la moitié est inédite, Llach transcende la chronologie pour révéler un parcours que l’on pourrait qualifier d’évolutif.
L'aventure se déplace d'un espace extérieur territorial (les développements politiques nationaux) vers un espace intérieur intime (le corps et ses sensations de finitude). Le poète se remémore son parcours et découvre un début marqué par la confrontation politique, voire partisane ( Los compañeros, Aramburu, Muchacha kirchnerista ), pour ensuite, au fil du temps, trouver des chemins mêlant mélancolie, réflexion et une quête de compréhension ni linéaire ni simpliste (même si les vers de « Padres y maestros », « Hablé con vos en sueños », « No soy todo oídos » paraissent d'une simplicité trompeuse) concernant l'affection transcendante.
Deux livres parviennent à dialoguer lorsqu'ils évoquent des univers similaires, mais leur lecture les propulse dans des dimensions différentes. *World Poetry* et * Pères et Maîtres* sont extraordinaires car ils incarnent le temps sans pour autant être prisonniers d'une génération : ils ont continué à se diffuser jusqu'à résonner dans notre présent.
Clarin





