Avoir un petit ami est-il devenu gênant ? Que reste-t-il lorsque la monogamie cesse d’être une fatalité ?

Avoir un petit ami est-il devenu gênant ? Cette question provocatrice circule sur les réseaux sociaux depuis plusieurs jours suite à un article de Chanté Joseph publié dans Vogue , intitulé « Avoir un petit ami est-il devenu gênant ? ». L’article, écrit d’un point de vue très féminin, part du constat que, sur les réseaux sociaux, afficher ouvertement sa vie amoureuse est devenu rare, voire mal vu. Alors qu’autrefois, être en couple était considéré comme un atout, presque une réussite , il semblerait aujourd’hui que ce statut soit de moins en moins valorisé.
Selon Joseph, les jeunes femmes d'aujourd'hui vivent une tension constante entre le désir d'une relation amoureuse et celui d'indépendance . D'un côté, elles aspirent aux bienfaits d'une relation sentimentale (soutien, compagnie, intimité), mais de l'autre, elles craignent de perdre leur autonomie et de se conformer aux normes sociales. Le célibat apparaît aujourd'hui comme un espace de liberté, d'affirmation de soi et de reconnaissance sociale. Il devient également un choix assumé et valorisé.

L'article de Vogue suggère que ce scénario reflète une remise en question plus large des rôles traditionnels : l'idée qu'être en couple signifie un statut absolument positif est de moins en moins acceptée, et les femmes commencent à interroger la valeur sociale d'une relation « traditionnelle ». Mais quels sont les modèles alternatifs possibles au « couple hétérosexuel romantique » ? Et pourquoi leur mise en œuvre pourrait-elle être bénéfique à tous ?
Le célibat, une forme de plus en plus répandueUn article de The Economist confirme le déclin du modèle relationnel traditionnel. Il souligne que dans les pays de l'OCDE (considérés comme économiquement plus développés), un nombre croissant de personnes restent célibataires ou choisissent de ne pas vivre en couple. Aux États-Unis, par exemple, la proportion de jeunes de 25 à 34 ans vivant sans conjoint ni partenaire a quasiment doublé ces 50 dernières années, et dans 26 des 30 pays membres de l'OCDE, le nombre de personnes vivant seules est plus élevé qu'auparavant. L'article identifie l'émancipation économique croissante des femmes comme l'un des principaux facteurs expliquant cette tendance : leur capacité à subvenir à leurs besoins atténue en partie la pression sociale à s'engager dans un couple. Par ailleurs, la multiplication des relations plus courtes ou moins stables, ainsi que le choix délibéré de ne pas trouver de partenaire ou de reporter cette décision, contribuent également à l' essor du célibat . Enfin, il y a aussi des raisons culturelles et sociales : le mariage et la cohabitation ne sont plus considérés par tous comme obligatoires ou automatiques, et l’idée d’« être seul » a progressivement perdu de sa stigmatisation.
En résumé, il semble que le déclin du couple « traditionnel » ne soit pas une tendance passagère, mais une véritable mutation structurelle de la vie adulte contemporaine. Mais si le modèle traditionnel s'essouffle, quelles nouvelles formes et de nouveaux langages relationnels émergent ?
Polyamour et non-monogamieMais si le nombre de personnes célibataires augmente, cela ne signifie pas que le désir de lien social disparaît : il se transforme peut-être simplement. Pour comprendre comment évoluent aujourd’hui les formes de connexion et d’intimité, nous avons interrogé Marina Misaghinejad , militante transféministe et membre de la Collettiva Poliamorica de Bologne , en lui demandant de nous aider à interpréter ces signes non pas comme de simples « tendances », mais comme les symptômes d’une évolution plus profonde de nos conceptions de la liberté et de l’appartenance.
Misaghinejad nous explique comment la monogamie a « imposé pendant des siècles non seulement un modèle émotionnel et sexuel dominant, mais aussi une sorte de hiérarchie relationnelle et sociale , avec des règles implicites sur la manière d'aimer, avec qui et quand ». Un modèle restrictif qui semble de plus en plus contraignant et qui, trop souvent, devient un lien plus performatif qu'authentique. L'alternative ? La non-monogamie , une pratique relationnelle extrêmement ouverte, interprétable selon les besoins et les désirs de chacun. « La non-monogamie apparaît souvent comme un choix conscient et transparent : ce n'est pas un geste d'ostentation ou de statut, mais une façon d'explorer librement les relations, dans le respect des désirs et des besoins de toutes les personnes impliquées », explique la militante.
On peut toutefois se demander si cette « nouvelle » façon d’entrer en relation, qui semble se répandre de plus en plus, représente un véritable progrès ou risque de devenir une nouvelle forme de mise en scène. Misaghinejad, quant à lui, se montre optimiste : « Je crois que la visibilité accrue de ces formes relationnelles est un signe de progrès réel en matière de liberté de choix. Ce qui me déçoit, c’est que ces formes relationnelles restent encore bien trop occultées et cantonnées à certains cercles restreints. »
L'article de Vogue par lequel nous avons commencé évoque la crainte, chez de nombreuses femmes, d'être « absorbées » par l'identité de leur partenaire , de devenir « la fille de ». Dans les relations polyamoureuses (une forme de relation non monogame), où coexistent plusieurs relations amoureuses, on pourrait penser que le risque de « fragmentation identitaire » est encore plus grand. Pourtant, compte tenu des fondements sur lesquels reposent ces liens, c'est tout le contraire qui se produit : « Dans les relations multiples, l'autonomie et le sentiment d'identité se construisent grâce à la transparence, la communication et le respect des limites personnelles . Chaque personne impliquée préserve sa propre individualité, et les relations deviennent des espaces de croissance mutuelle plutôt que des limites qui définissent qui nous sommes », nous explique un membre du Collectif Polyamoureux. « Je crois que c'est l'une des forces de la non-monogamie : elle permet d'explorer différents liens sans renoncer à sa propre identité, tout en remettant en question les modèles relationnels traditionnels qui ont historiquement imposé des rôles et des définitions rigides. »
En résumé, avoir plus de liens ne signifie pas une plus grande dépendance envers les autres – une question qui semble préoccuper les jeunes femmes d'aujourd'hui. En effet, « le polyamour et les autres formes de non-monogamie remettent en cause la culture de possession qui caractérise historiquement de nombreuses relations monogames ». Vivre consciemment plusieurs relations déconstruit l'idée qu'en couple, « nous appartenons ensemble » et « nous permet d'affirmer que chaque personne s'appartient avant tout à elle-même ».
Rompre les schémas traditionnels est à la portée de tous !Soyons clairs : la non-monogamie ne se limite pas à une seule approche des relations amoureuses et sexuelles, mais peut aussi impliquer de nouvelles idées et de nouveaux modèles d’amitié et de famille. Par exemple, elle peut nous apprendre à ne pas nécessairement hiérarchiser nos relations en privilégiant les relations amoureuses et les liens du sang, mais plutôt à construire des « familles de cœur » avec les personnes que nous aimons, qu’il s’agisse d’amour romantique, d’amitié ou de famille.
« Je crois que tisser des liens, créer un collectif et une communauté est la seule chose véritablement imaginable et nécessaire en ce moment », affirme Misaghinejad. Et il n'est ni nécessaire ni obligatoire d'être engagé dans des relations multiples ou polyamoureuses pour contribuer à cette transformation : « Même dans une relation traditionnelle, on peut commencer à questionner les rôles , les attentes et les dynamiques sociales, et à partir de là, construire des voies d'autonomie, de solidarité et de transformation collective », soutient la militante transféministe.
L'avenir des relations réside peut-être non pas dans la fin d'une relation, mais dans la possibilité de choisir – à chaque fois – comment aimer l'autre, sans avoir à se justifier. Car remettre en question la monogamie ou les couples hétéronormatifs ne signifie pas rejeter l'amour, mais le libérer de ses hiérarchies . C'est un geste politique : redonner aux relations leur dimension la plus radicale, celle de la liberté et de l'attention mutuelle.
Luce





