TOUT COMPRENDRE. Blocus jihadiste, recommandation de la France à quitter le pays... Que se passe-t-il au Mali?

La sonnette d'alarme est tirée par la diplomatie française. Paris recommande ce vendredi 7 novembre à ses ressortissants de quitter temporairement le Mali "dès que possible", alors que la capitale Bamako et de nombreuses régions du pays sont peu à peu asphyxiées par un blocus jihadiste, selon une note aux voyageurs postée par le ministère français des Affaires étrangères.
Économie au ralenti, attaques quotidiennes contre des convois de carburant, perte de contrôle territorial: la junte au pouvoir au Mali fait face à une crise existentielle sans précédent.
"Depuis plusieurs semaines, le contexte sécuritaire se dégrade au Mali, y compris à Bamako", observe le Quai d'Orsay. C'est la raison pour laquelle Paris "recommande aux ressortissants français de prévoir un départ temporaire du Mali dès que possible par les vols commerciaux encore disponibles".
"Les déplacements par voie terrestre restent déconseillés, car les routes nationales sont actuellement la cible d'attaques de groupes terroristes", poursuit le ministère des Affaires étrangères.
Ces derniers rappellent en outre qu'il "reste formellement déconseillé de se rendre au Mali, quel que soit le motif". Jeudi, le porte-parole du ministère Pascal Confavreux avait souligné que la France suivait "avec une grande attention et avec une véritable préoccupation" la dégradation de la situation sécuritaire au Mali, où les violences jihadistes ont redoublé d'intensité ces derniers jours.
Pour l'heure, "le dispositif diplomatique est inchangé, avec l'ambassade de France ouverte, dirigée par un chargé d'affaires qui s'occupe notamment de la protection consulaire de nos 4.300 ressortissants inscrits sur la liste consulaire", avait-il indiqué. "Leur sécurité est prioritaire", avait-il insisté.
Depuis plusieurs semaines, les jihadistes du Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (JNIM), affilié à Al-Qaïda, imposent jusqu'à Bamako un blocus sur les importations de carburant, paralysant l'économie du pays sahélien enclavé. Cette stratégie d'étranglement a poussé l'État à fermer les écoles, empêche les récoltes agricoles dans plusieurs régions et mine l'accès à l'électricité.
Lors d'un déplacement lundi à 150 kilomètres au sud de Bamako, le chef de la junte malienne, le président Assimi Goïta, a appelé ses compatriotes à faire des "efforts", notamment en réduisant les "déplacements inutiles", et promis de "tout faire pour acheminer le carburant".

Alioune Tine, ancien expert indépendant des Nations unies sur le Mali, voit dans ces déclarations "un aveu d'échec terrible".
Les militaires au pouvoir depuis deux coups d'État en 2020 et 2021 avaient promis d'endiguer l'expansion jihadiste qui secoue le pays depuis plus d'une décennie. Ils ont rompu avec leurs anciens alliés militaires et politiques occidentaux, dont la France, et fait appel à des paramilitaires russes pour lutter contre les jihadistes.
Mais aujourd'hui, "l'État malien ne contrôle plus rien" sur son territoire et "concentre ses forces autour de Bamako pour sécuriser le régime", souligne Bakary Sambe, du groupe d'études Timbuktu Institute, basé à Dakar, au Sénégal. Selon lui, "l'adhésion de départ (de la population) commence à s'éroder face à l'impossibilité du régime militaire de tenir sa promesse de sécurité".
Face à la dégradation de la situation, les États-Unis et le Royaume-Uni ont annoncé la semaine dernière le retrait de leur personnel non essentiel du Mali, et plusieurs ambassades ont demandé à leurs ressortissants de quitter le territoire.
Cette hypothèse semble peu probable à ce stade, selon les observateurs, le JNIM n'en ayant pas les capacités militaires ou de gouvernance.
"Je ne pense pas que le JNIM ait la capacité ou l'intention de prendre Bamako, mais la menace qu'ils font planer sur la ville est sans précédent", estime l'analyste Charlie Werb, du cabinet de conseil Aldebaran Threat Consultants (ATC).
"Les jihadistes sont aujourd'hui en mesure de s'emparer du pays s'ils le voulaient. Ils ne le font pas pour l'instant parce que le rapport de force militaire n'est pas en leur faveur", constate François Clémenceau, éditorialiste politique internationale à BFMTV.
Groupe jihadiste le plus influent et "menace la plus importante dans le Sahel", selon l'ONU, le JNIM demande l'application de la charia et agit, militairement ou politiquement, pour délégitimer les États sahéliens afin de se positionner comme une alternative plus crédible.
Il gouverne indirectement des villages, grâce à des accords locaux adaptés en fonction des zones, et fait de la propagande sur la défense des populations locales.
Le JNIM a étendu ces derniers mois son influence sur une large partie du territoire, qu'aucune étude solide n'a à ce stade quantifiée précisément, et se finance grâce à la collecte de taxes et par les rançons d'enlèvements. Pour Bakary Sambe, en menant ce blocus, "l'objectif stratégique" est de "faire tomber le régime".
"Leur montée en puissance s'est accélérée depuis le départ des Français, mais surtout depuis le départ des mercenaires russes partis au mois de juin", observe François Clemenceau sur notre antenne.
Une option pour le gouvernement serait de négocier avec les jihadistes. Toutefois, Baba Adou, chercheur à l'université de Floride (États-Unis), rappelle que "si elle engage le dialogue, la junte sape tout le narratif (de lutte antijihadiste) sur lequel elle repose".
Face à cette "stratégie d'étranglement économique", Alioune Tine craint un "effondrement de l'État malien" qui aurait "des conséquences catastrophiques" dans toute la sous-région.
"La chute du Mali pourrait entraîner par ricochet celle d'autres gouvernements dans la région, comme le Burkina Faso ou le Niger", deux autres pays sahéliens dirigés par des juntes souverainistes, estime le groupe de réflexion Soufan Center.
BFM TV


