Le scandale des arbitres parieurs ébranle le foot turc
Les garants de l'équité sportive pris en train de bafouer les règles. En Turquie, le monde du football est ébranlé par un profond scandale. Sur 571 arbitres au total, 371 possèdent des comptes de paris, et 152 sont des parieurs actifs. « Nous sommes attristés de les voir ouvrir des comptes et placer des paris en leur nom propre », s'est désolé brahim Hacosmanolu, à la tête de la Fédération de football turque (TFF) depuis un an, et auteur des révélations après une enquête interne.
Dans le pays, les paris sont très répandus, et si les statistiques sont rares, ils auraient rapporté 6 milliards de dollars en 2023, rien que sur la partie légale. De nombreuses plateformes existent telles que Nesine, où il est possible de renseigner « arbitre » dans l'onglet « profession ». Un pied de nez à la Fédération, qui interdit la pratique.
Quant aux mises, elles sont plus précises qu'en France, et impliquent directement le corps arbitral. Il est notamment possible de mettre de l'argent sur le nombre de cartons jaunes dans un match, de hors-jeu ou encore le nombre de fois que le VAR sera consulté.
Alors forcément, l'annonce d'Hacosmanolu a provoqué une déflagration, et chaque coup de sifflet des 152 arbitres prête désormais à question. Dans la liste, sept ont officié en Süper Lig, la Première Division turque. Six d'entre eux ont tenu des rôles de quatrième arbitre, mais Zorbay Kuçuk (33 ans) a focalisé l'attention, puisqu'il a officié cinq fois en tant qu'arbitre principal cette saison, et une fois au VAR. Il était le troisième arbitre le mieux rémunéré la saison dernière.
Sur X (ex-Twitter), les vidéos de ses décisions litigieuses ont déferlé, bien qu'on ignore encore les matches sur lesquels il a misé. On le voit notamment refuser un penalty pour une main en faveur de Kocaelispor, en août dernier contre Samsunspor (0-1), malgré un appel du VAR. Le club lésé s'est dit prêt à rejouer le match. Hors-jeu inexistants, cartons sévères, penalties oubliés, les exemples s'accumulent pour les arbitres mis en cause.
« Les arbitres et observateurs veulent la valeur qu'ils méritent (...) Un système sain ne peut être établi sans renforcer la base »
L'Association turque des arbitres et observateurs de football
« La confiance dans l'arbitrage dans le pays était proche de zéro, elle est désormais négative », décrypte Yusuf Kenan Çalk, journaliste pour la chaîne Ekol Sports. Avant ce scandale, les coups de sifflet étaient déjà régulièrement remis en question par les supporters, les joueurs ou les dirigeants. Le 11 décembre 2023, Halil Umut Meler avait même reçu un violent coup de poing de la part du président d'Ankaragücü, mécontent de son arbitrage.
La répétition des critiques avait poussé la Fédération à faire appel à des étrangers, notamment pour diriger le VAR à la fin de la saison 2024, payés environ trois fois plus que les arbitres locaux. Le 16 octobre, l'Association turque des arbitres et observateurs de football, a demandé de meilleures rémunérations : « Les arbitres et observateurs veulent la valeur qu'ils méritent », « un système sain ne peut être établi sans renforcer la base ».
Leurs revendications ont été entendues, dans un timing très spécial, puisque le dimanche 26 octobre, la veille d'annoncer le scandale des paris, la Fédération a rehaussé les salaires des arbitres. Le match de Süper Lig est passé de 53 500 à 80 000 livres turques (environ 1 600 euros). Dans les étages inférieurs, les arbitres de quatrième division gagneront désormais 7 000 (143 euros) contre 4 600 livres turques (93 euros) auparavant. Le salaire minimum est fixé à 22 104 livres turques (455 euros), alors que l'inflation frappe toujours sévèrement la Turquie depuis 2021.
« Les arbitres des divisions inférieures perçoivent une rémunération bien moindre, ce qui les incite davantage à parier, relève Eren Tutel, journaliste pour le quotidien BirGün. Je suis convaincu que les arbitres ne représentent qu'une petite partie du problème des paris. Si l'enquête se limite aux arbitres et à quelques joueurs, nous ne saurons jamais vraiment jusqu'où s'étend ce réseau. »
En faisant sa déclaration choc, le président de la Fédération a demandé aux clubs de faire « une introspection ». Contactés, des joueurs, arbitres et dirigeants n'ont pas souhaité s'exprimer sur ce sujet sensible, bien que nombreux s'avouent désabusés par le scandale. En parallèle du travail de la TFF, le parquet d'Istanbul est en charge d'une enquête judiciaire sur le même sujet, ouverte en avril 2025. D'après les médias turcs, des centaines de joueurs seraient aussi dans le viseur des enquêteurs.
Les arbitres qui ont effectué des paris légaux ne risquent pas de peine, seulement une exclusion, s'ils n'ont pas truqué de matches. Quant aux paris illégaux, ils sont répréhensibles, mais difficilement traçables et très développés. Murat Airel, auteur d'enquêtes sur le sujet, estime à 100 milliards de dollars la somme en circulation générée. Soit beaucoup plus que les paris légaux, et énormément de mises cachées sous le tapis. Il faudra donc certainement davantage de travail à Hacosmanolu afin de parvenir à « nettoyer » le football turc.
L'Équipe


