Gourgues : «À quelques jours près, j'aurais pu finir unijambiste»

Il est l'une des sensations de la saison au point de participer aux premiers jours du stage des Bleus à Marcoussis pour préparer les tests de novembre. Kalvin Gourgues (20 ans) revient pourtant de très loin. En 2023, alors qu'il se plaignait de crampes et de douleurs à un pied, les médecins lui détectaient un caillot de sang dans l'artère poplitée, celle qui passe derrière le genou pour vasculariser la jambe.
Le début d'un traitement long et de plusieurs opérations parfois lourdes. Celui qui a débuté le rugby à Grenade-sur-Garonne, un petit club au nord de Toulouse, n'a malgré tout jamais craqué. Le jeune centre polyvalent des Rouge et Noir est aujourd'hui en pleine forme. Gourgues croque la vie à pleines dents avec une maturité impressionnante.
« Comment vivez-vous ces dernières semaines ?Je n'aurais pas pu rêver mieux. C'est un peu fou et je n'ai pas le temps de réaliser. À 20 ans, c'est une chance phénoménale de pouvoir jouer autant avec Toulouse (444 minutes), comme d'avoir été appelé dans les 42 du groupe France (il a été libéré mercredi soir comme 20 autres joueurs). J'espère que c'est le début de quelque chose de bien plus beau et bien plus grand. Je suis sur un petit nuage avec le rugby qui va bien et la santé qui va bien.
Ma vie est géniale. Après les galères que j'ai vécues, je prends tout ce qui est bon à prendre. Je sais que je reviens de loin. Ça n'a pas toujours été facile à gérer l'an dernier avec à chaque fois des mauvaises nouvelles, une opération par-ci et un traitement par-là. C'était assez chaotique mais j'ai été bien accompagné par mes proches.
« J'ai été opéré, fin novembre 2023, alors que je venais de faire ma première feuille de match avec les pros au début du mois »
Été 2025 : il participe à la Coupe du monde des moins de 20 ans, où les Bleus finissent 4es.
Comment avez-vous compris ce qui vous arrivait en 2023 ?Le point de départ est que j'avais des crampes aux entraînements. Quand je finissais un exercice, j'avais cette douleur au milieu du pied. Puis l'hiver est arrivé et je commençais à ne pas sentir mes orteils. Plus ça allait, plus c'était tout le pied et le bas de la cheville. Au début, je serrais les dents pour gratter mes premières minutes avec les pros. L'élément déclencheur a eu lieu pendant une séance avec l'ostéo du club.
J'avais le pied froid. Il était vraiment très blanc, comme un membre inanimé, alors que je n'avais pas fait d'efforts. C'était assez choquant. Le docteur pensait au début que j'avais peut-être un nerf pincé. Mais sur un angioscanner, on découvre un caillot au niveau de l'artère poplitée et à d'autres endroits au pied et au mollet. J'ai été opéré dans les jours suivants, fin novembre 2023, alors que je venais de faire ma première feuille de match avec les pros au début du mois (contre Pau).
À quoi pensez-vous à ce moment-là ?Je suis assez perdu. J'ai 18 ans et j'ai juste envie que ça passe. J'ai dit aux médecins "je vous fais confiance, faites ce que vous voulez mais soignez-moi". Je voyais ça comme une blessure. Je regardais surtout le temps qu'il fallait pour guérir sans m'attarder vraiment sur l'intervention en elle-même. Le principal était déjà tout simplement de rejouer au rugby et ne plus ressentir ces sensations.
En quoi a consisté l'opération ?Dans un premier temps, le chirurgien a essayé d'enlever le maximum de caillots sans abîmer la paroi. Puis il a tenté aussi de me libérer les artères du pied mais il n'a pas réussi car elles étaient bouchées depuis trop longtemps. Ensuite, il m'a mis un patch veineux. Il a essayé de faire l'opération la moins invasive possible pour que je puisse vite récupérer et reprendre.
 
 Vous revenez en février avec Toulouse avant de rechuter durant l'été...Oui, tout se passait bien puis est venu le match contre Mont-de-Marsan en août 2024 (36-21). J'avais l'impression d'avoir deux poids au niveau des mollets. Dans les jours suivants en stage, ça tirait à chaque entraînement. On surveillait l'évolution mais ça ne m'empêchait pas non plus de performer et d'arriver à mes niveaux de vitesse. Contre Perpignan (38-24), c'est un peu la goutte de trop. Je prends un coup au mollet et j'ai l'impression d'avoir un poids à la place de la jambe gauche. C'était trop bizarre.
Le doc décide de m'envoyer faire un écho-doppler qui révèle une sorte de début de caillot. Je passe aussi un angioscanner. Le professeur voit ça et me dit : "Je vais essayer de t'opérer, d'injecter un produit pour désintégrer le caillot de manière chimique avec de gros produits anticoagulants." Mais au moment d'enlever la sonde qui me parcourait toute la jambe, mon artère ne s'était pas bien rebouchée. J'ai dû être réopéré pour éviter un anévrisme puis tenir pendant plusieurs mois un traitement pour nettoyer et fluidifier le sang.
« Désormais, j'ai encore des contrôles de routine mais seulement tous les mois. Je me sens maintenant à 100 % de mes capacités »
Mais ça n'a pas non plus réglé le problème...En janvier la sensation est revenue pendant des exercices de course. J'étais un peu sans solution. Je ne comprenais pas. Je devais passer par une nouvelle opération. La paroi était tellement endommagée qu'elle devenait thrombogène. Le chirurgien m'a dit : "Cette partie d'artère où le caillot ne fait que se reformer, on va la jeter complètement, on va te prélever la veine saphène dans la cuisse qui n'est pas vraiment vitale car on peut vivre en n'en ayant qu'une d'un côté, on va te la suturer à la place de ce morceau d'artère et en gros on va te recréer une artère à partir de cette veine."
La greffe s'est bien passée. Le pontage est nickel. Désormais, j'ai encore des contrôles de routine mais seulement tous les mois. Je me sens maintenant à 100 % de mes capacités. Je suis très reconnaissant envers tous ceux qui m'ont aidé à pouvoir de nouveau galoper et prendre du plaisir sur le terrain.
Vous parlez de tout ça de manière très rationnelle...Je ne savais pas vraiment ce qu'était un pontage. Je pensais juste au positif que ça allait m'apporter derrière sans me dire que c'était une opération potentiellement risquée. Je me disais que cette fois-ci c'était la bonne et que dans tous les cas il y aurait une autre solution derrière. Je ne raisonnais pas du tout en termes de dernière chance.
Vous êtes visiblement devenu un expert en vocabulaire médical...(Il se marre) Oui, mais je ne suis bon que sur les artères poplitées. J'espère que ce sera ma seule spécialité toute ma vie.
Plus sérieusement, vous n'avez jamais eu peur que votre carrière s'arrête déjà ?Non, ça n'aurait servi à rien de me mettre inutilement le moral dans les chaussettes. Tant qu'on ne me le disait pas, je savais que le rugby n'était pas fini. J'ai toujours essayé de relativiser malgré des moments parfois très durs. En passant par l'hôpital, j'ai vu des choses plus graves, des gens qui souffrent.
Je savoure maintenant intensément chaque petit moment, ça va des retrouvailles avec ma copine, faire un câlin à mon chien ou jouer contre Bordeaux à Ernest-Wallon un dimanche soir (56-13). Parfois, il faut juste se poser et se dire qu'on a vraiment de la chance car certains ne sont plus là pour en parler ou se battent juste pour vivre un jour de plus. Mon regard sur la vie a changé.
Comment vos proches ont-ils traversé vos épreuves ?Moi, j'ai toujours été très optimiste. Je savais qu'un jour j'allais remettre les crampons, jouer et m'amuser. Pour mes parents, ce n'était pas pareil. Ce n'était pas facile de voir leur seul fils se faire opérer. Ils ont eu bien plus peur que moi surtout quand on m'a annoncé qu'à quelques jours près, j'aurais pu finir unijambiste. Si la première fois, le caillot avait vraiment bouché entièrement mon artère, c'était fini pour ma jambe gauche.
Je suis quand même très cash et j'essayais de les rassurer au maximum. On a aussi une relation où on ne parle pas forcément beaucoup de ce que l'on ressent. Et malgré tout ce qui m'arrivait, j'étais très joyeux et optimiste. J'ai toujours été pudique sur mes émotions et mes sentiments même si ça va mieux depuis que j'ai rencontré ma copine. »
Mais à quel poste ? Le jeune homme est polyvalent. Il a été formé à l'ouverture puis aligné à l'arrière pour ses débuts. Désormais Gourgues évolue au centre. « J'adore buter et quand on est dix normalement on est celui qui bute. Mais je préfère jouer 12 car on est au coeur du jeu. À choisir entre les trois, je mettrais le centre en premier, dix en deuxième et quinze en troisième. Mais tant que je suis sur le terrain, je suis heureux et j'en profite. »
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