Le Tour de France est lancé : un long roman transformé en derby entre Pogacar et Vingegaard


« Juillet, avec l'amour que je te porte, tu verras qu'il finira… » chantait Riccardo del Turco en 1969, lorsque le cyclisme italien, malgré un soleil de plomb, parvenait à se faire respecter, même sur le Tour de France. C'était une époque révolue, le cyclisme eurocentré, non mondialisé comme aujourd'hui. Quatre ans plus tôt, en 1965, un tout jeune Gimondi avait remporté la Grande Boucle, emportant le maillot jaune à la surprise générale jusqu'à Paris.
Gimondi, Felice de nom et de fait, était la nouvelle star, même si quelques années plus tard il serait éclipsé par un Armageddon appelé Eddy Merckx qui, il y a quelques jours à peine, le 17 juin, a eu 80 ans.
Qui dit Merckx dit forcément Tadej Pogacar , le nouveau Cannibale, forcément favori numéro un avec Jonas Vingegaard du nouveau Tour de France (112e) qui s'élance de Lille ce samedi 5 juillet.
« Pogacar est un champion extraordinaire, et son courage le prouve. Et je le vois favori face à Vingegaard cette fois encore. Cependant, comparé à moi, je dois dire que Tadej a moins d'adversaires… », précise avec une pointe de malice le vieil Eddy qui, en son temps, malgré ses cinq victoires dans les Tours, devait toujours être sur le qui-vive. La concurrence était rude et acharnée. Et il était prêt à exploiter le moindre signe de fatigue du Cannibale.
Outre Gimondi, il y avait des adversaires de taille comme les Espagnols Luis Ocana et José Manuel Fuente, le Français Bernard Thévenet et bien d'autres champions qui ont marqué l'histoire du cyclisme et du Tour. Un autre grand coureur qui dominera la scène après Merckx est le légendaire Bernard Hinault, le géant breton qui fut le dernier vainqueur français du Tour en 1985. Depuis, aucun autre coureur transalpin n'a remporté la Grande Boucle.
Un joli revers pour nos cousins qui, on le sait, n'ont pas de rivaux en matière de grandeur. Le dernier Français à monter sur le podium était Roman Bardet (2e en 2016 et 3e en 2017). « Je serais vraiment heureux qu'un coureur français prenne ma relève », explique Hinault, un peu irrité d'entendre la même question sans cesse. « Bien sûr que je serais heureux, j'essaie d'être poli, mais il y a une limite. Vous verrez, quand un autre Français gagnera, ce sera la fête et pendant un moment, plus personne ne parlera de moi. »
Si les Français ne sont pas aussi performants, les Italiens font bien pire. Au départ de ce nouveau Tour, on ne compte que onze coureurs. Trois de plus que lors de la dernière édition, mais toujours très peu. Parmi eux, les plus reconnus sont Jonathan Milan (qui fait ses débuts), qui mènera le peloton des sprinteurs en quête du maillot jaune dès la première étape de Lille, samedi. À cela s'ajoute le retour de Filippo Ganna, qui visera sans doute quelques victoires d'étape, avec en ligne de mire les deux contre-la-montre.
Nous n'avons pas gagné d'étape depuis 2019. C'est également un bilan négatif. Si l'on considère la dernière première italienne à Paris, il faut remonter à 2014 avec l'habituel Vincenzo Nibali. Cela fait onze ans maintenant, mais on ne voit vraiment pas de successeur. On l'a également constaté au Giro d'Italie, remporté à la surprise générale par Simon Yates devant le Mexicain Del Toro et l'Équatorien Carapaz.
Le premier Italien (cinquième) fut Damiano Caruso, avec plus de 7 minutes de retard. Le septième fut Pellizzari, avec près de dix minutes de retard. La joie des naufrages, dirait le poète. Curieusement, en cyclisme et en football, les sports dont nous avons toujours été les protagonistes, on ne touche plus le ballon. Question : est-ce une simple coïncidence ?
Mais revenons à ce Tour qui s'apprête à commencer. Départ de Lille (troisième Grand Départ après 1960 et 1994) et arrivée le dimanche 27 juillet à Paris en passant par Montmartre (« un stress inutile », précise Vingegaard). Au total, 3 338 kilomètres avec 6 étapes de montagne, six étapes vallonnées, sept pour sprinteurs et deux contre-la-montre. La première, le 9 juillet, compte 33 km, presque entièrement plats. Idéal donc pour les puristes de la vitesse. Ici, les minutes filent et il est temps de faire ses premiers choix.
Une épreuve particulièrement adaptée au Belge Remco Evenepoel, troisième coureur de cette course. Remco reste indéchiffrable. Dans les grandes courses par étapes, il est moins reconnu que les deux favoris, mais sa supériorité est incontestable. « Je dois me convaincre que c'est possible », déclare Remco à la veille. Il pourrait être une alternative, même si la dernière semaine, où se concentrent les étapes de montagne les plus exigeantes, il risque de ne pas tenir jusqu'à Paris.
Bon, venons-en au fait : le duel habituel entre Pogacar et Vingegaard sera-t-il toujours le même ? Sur le papier, ce que la route dément parfois, bien sûr. Ce sera un nouveau derby entre deux géants. Pour l'instant, le bilan (3-2) penche en faveur du Slovène, qui se présente à la fois avec le maillot de champion du monde et en tant que leader en titre, ayant remporté la dernière édition en 2024. « Le Slovène est magnanime envers son rival : « Je pense que Jonas est le meilleur grimpeur du monde, du moins il l'a été ces dernières années, surtout dans les longues ascensions. Je suis meilleur en contre-la-montre, et lui parfois. Quoi qu'il en soit, la bataille est ouverte… »
Les bookmakers les plus pragmatiques donnent une cote de 1,50 pour Pogacar. Pour Vingegaard, ils offrent le double (3,00). La raison de cette disparité est simple : le Slovène, après un printemps formidable (Strade Bianche, Flandres, Flèche Wallonne et Liège-Bastogne), arrive au Tour après une longue période de préparation en altitude qui lui a permis de triompher au Dauphiné et qui devrait le mettre au départ en meilleure forme qu'il y a un an.
Apparemment, un Martien encore plus martien, prêt à signer, dès qu'il le pourra, le centième succès de sa carrière. Il est inutile de rapporter ici le brillant cursus de Tadej, nous ne sommes pas encore au niveau de Merckx (523 victoires), mais seulement parce que ces comparaisons statistiques n'ont aucun sens. À l'époque d'Eddy, les courses se déroulaient de février à novembre. Des courses encore moins célèbres.
Le 21 septembre, Pogacar fête ses 27 ans. Il a donc largement le temps de détrôner le grand Eddy. Même dans son attitude, le Slovène a changé. Avant, il se comportait comme un prince bienveillant, maintenant comme un roi qui n'est pas toujours condescendant envers ses sujets. Il est devenu amer envers la presse : « Depuis que je suis moins sur les réseaux sociaux et que je ne suis plus les journalistes et les médias, je vis beaucoup mieux, mais je suis prêt à répondre à vos questions avec le sourire… ».
Quand on gagne, il est facile de sourire. Mais sur le Tour, il faut rester sur ses gardes. Il se passe quelque chose tous les jours. Et ici, Vingegaard, qui arrive lui aussi bien préparé et ne se remet pas d'un accident comme en 2024, a son mot à dire. La forte chaleur, bien que danois, ne le gêne pas. Et les longues ascensions qui caractériseront la dernière semaine de ce Tour non plus. Outre les deux protagonistes, il faut aussi compter sur les deux équipes qui les soutiennent. Deux fleurons valant près de 60 millions. Deux cuirassés qui ne laissent même pas un café au hasard. Tout est prévu, tout est organisé pour que les deux capitaines puissent donner le meilleur d'eux-mêmes. UAE Emirates, à quelques exceptions près, dispose d'un groupe redoutable avec deux coureurs de haut niveau comme Adam Yates (jumeau du vainqueur du Giro) et le Portugais Joao Almeida, fraîchement vainqueur du Tour de Suisse, qui pourrait être capitaine dans n'importe quelle autre équipe.
Vingegaard, lui aussi, n'est pas en si mauvaise posture. Dans son équipe Visma-Lease a Bike, les champions ne manquent pas. L'un d'eux est Simon Yates, qui, après sa performance au Col des Finestres lors de l'avant-dernière étape du Giro , n'a plus besoin d'être présenté. L'autre est Wout Van Aert, qui, toujours sur le Giro, attendant Simon, a permis à l'Anglais de conquérir le maillot rose. Le Belge est un dur à cuire et, s'il est au meilleur de sa forme, il peut faire la différence. En bref, le derby entre Pogacar et Vingegaard comporte de nombreuses variables. La dernière est la route, un juge sévère et sans appel.
En chiffres, l'équipe de Pogacar (55 victoires en 2025) est favorite face aux 21 de Visma. Mais ces calculs sont utiles pour se situer dans le contexte. La substance, surtout sur le Tour, se révèle pendant la course. Lors des neuf premiers jours, très stressants, comme le répètent Pogacar et Vingegaard, il faut éviter les accidents et les chutes. Et personne ne peut prédire ce qui se passera le 22 juillet (16e étape) au Mont Ventoux. Ni le 24 juillet lors de l'étape reine (Vif-Courchevel Col de la Loze), avec près de 5 500 mètres de dénivelé sur 171 kilomètres. Ici, vous traverserez des cols géants comme le col du Glandon, le col de la Madeleine et le col de la Loze. La ligne d'arrivée est à 2 304 mètres, avec tout ce qui peut arriver à cette altitude.
« Le Tour n'est pas un bal à Versailles », dit un proverbe des vieux suiveurs. Certes, bien d'autres choses pèsent, impossibles à prévoir avec l'intelligence artificielle ou les ordinateurs de bord. Du moins jusqu'en 2025. Pour l'avenir, nous ne nous hasardons pas à faire de prédictions.
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