Barry Appleton : Le Canada est devenu une nation de métayers numériques

Dans l’économie numérique d’aujourd’hui, les Canadiens fournissent les matières premières — données, contenu, liquidités — tandis que les plateformes étrangères contrôlent les algorithmes et extraient la majeure partie de la valeur.
La technologie a non seulement imprégné nos vies, mais aussi notre gouvernement. Des entreprises technologiques étrangères contrôlent les systèmes qui permettent aux employés du gouvernement de communiquer et de stocker les données personnelles des Canadiens. Aujourd'hui, un nombre croissant de décisions sont confiées à des modèles d'IA opaques. Dans une nouvelle série, l'avocat spécialisé en commerce international Barry Appleton explore comment le manque de contrôle d'Ottawa sur son infrastructure informatique érode la souveraineté numérique du Canada.
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En mai, Robinhood Markets, Inc. a annoncé l'acquisition de WonderFi, une société basée à Toronto, pour 250 millions de dollars. Les médias ont évoqué des termes tels que « synergies » et « croissance d'utilisateurs ». Les analystes ont salué les gains d'efficacité qu'une telle acquisition permettrait.
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Mais au-delà des chiffres, un événement plus important s'est produit : le Canada a cédé son plus grand écosystème local d'actifs numériques. WonderFi, propriétaire de Coinsquare et de Bitbuy, détenait 2,1 milliards de dollars et servait 1,6 million d'utilisateurs canadiens. Il exploitait des systèmes responsables des transactions, des portefeuilles et de la conformité.
Grâce à cette vente, une entreprise américaine a gagné en visibilité sur le pouls financier des ménages, des entrepreneurs et des institutions canadiennes.
Elle exploite désormais l'un des plus importants moteurs de négociation, services de portefeuille et cadres de conformité permettant aux Canadiens d'acheter, de vendre et de stocker des actifs numériques dans un environnement juridique national. Cet environnement, auquel les Canadiens avaient acquis confiance, a disparu avec la vente.
Il n'y a eu aucun examen officiel de sécurité nationale. Aucune audience du comité permanent. Aucune déclaration ministérielle sur les implications stratégiques. À la fin du trimestre, une entreprise américaine assujettie au CLOUD Act avait acquis un pouvoir juridique et technique sur une part importante du patrimoine numérique canadien.
Il ne s'agissait pas d'un accord commercial de routine, mais d'un abandon de souveraineté. Et avec les nouvelles politiques de Washington faisant des stablecoins l'un des moteurs de la richesse numérique mondiale à la croissance la plus rapide, les enjeux ne pourraient être plus importants.
Dans le premier article de cette série, j'ai présenté le concept d'« empire algorithmique », une forme de pouvoir géopolitique qui projette la gouvernance à travers la propriété des infrastructures plutôt que le contrôle territorial. Ce phénomène est particulièrement visible dans le secteur financier.
Pendant des siècles, la souveraineté monétaire s'est traduite par la frappe de pièces, la fixation des taux d'intérêt et la réglementation des banques. Les leviers étaient physiques et nationaux : la Monnaie royale canadienne, la Banque du Canada et la législation bancaire fédérale.
Aujourd'hui, l'argent est codé. Les transactions sont validées par des algorithmes, traitées sur des serveurs cloud et exécutées par des contrats intelligents régis par le droit commercial étranger.
Ces rails numériques constituent des infrastructures quasi souveraines. Ils déterminent qui effectue les transactions, dans quelles conditions et avec quelle supervision. Ils intègrent les règles de conformité dans la logique même du système.
Lorsque les Canadiens paient leurs courses avec un portefeuille mobile, ils croient probablement que ces transactions sont nationales. En réalité, elles transitent généralement par des serveurs en Virginie, sont validées par un logiciel développé en Californie et réglées selon des protocoles régis par le droit des sociétés du Delaware.
WonderFi a été conçu pour être la réponse du Canada aux plateformes cryptographiques étrangères. Sa force reposait sur trois piliers : la sécurisation des cryptomonnaies sous juridiction canadienne ; la conformité aux cadres réglementaires canadiens ; et l'analyse comportementale des transactions canadiennes.
Le troisième pilier est le plus stratégique. Savoir quand, où et comment l'argent circule révèle non seulement l'état des marchés, mais aussi celui de la politique. Les schémas de liquidité, les données démographiques et les comportements peuvent orienter l'évaluation des risques, le timing des marchés et, entre des mains étrangères, influencer la stabilité.
Robinhood a non seulement gagné des clients et du code, mais aussi une carte comportementale en temps réel de l’activité des actifs numériques canadiens — une mine d’or de renseignements lorsqu’elle est intégrée aux ensembles de données américains.
Avec le rachat de Robinhood, cette intelligence comportementale a migré vers le sud. Combinée aux données américaines, elle offre une visibilité inégalée sur le microclimat financier canadien.
Elle a également mis en lumière les principaux enjeux de l'empire algorithmique. Aux termes de l'Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM), les gouvernements canadiens ne peuvent exiger des entreprises qu'elles conservent des données sur le sol canadien ni les contraindre à divulguer leur code source exclusif.
Entre-temps, le Canada est devenu dépendant des infrastructures infonuagiques et de paiement étrangères. Nos startups se tournent vers le Sud pour leurs liquidités, et non vers le Nord pour l'édification de la nation. Et les algorithmes formés à l'étranger définissent désormais le risque et la valeur du Canada.
Le Canada est devenu, en effet, une nation de métayers numériques, gouvernée par le colonialisme monétaire américain et soumise aux caprices des boîtes noires algorithmiques.
Après la guerre civile américaine, les agriculteurs sans terre ont cultivé des sols qu’ils ne possédaient pas, en utilisant des outils qu’ils ne contrôlaient pas, et ont donné la majeure partie de leur récolte en échange.
Voilà ce qu'est le Canada dans l'économie algorithmique. Les utilisateurs et les innovateurs canadiens d'aujourd'hui fournissent la matière première – données, contenu, liquidités – tandis que les plateformes étrangères possèdent les rails, contrôlent les algorithmes et extraient la majeure partie de la valeur.
Ce modèle prospère parce qu'il est présenté comme pratique. Les Canadiens utilisent des plateformes étrangères parce qu'elles sont rapides, fiables et largement adoptées. Le déséquilibre des pouvoirs se cache dans l'infrastructure.
Les Canadiens ont bâti la confiance en WonderFi. Ils ont peuplé le réseau. Ils ont respecté les règles. Après la vente, les règles ont été transférées à Washington. Nous cultivons les champs numériques. Ils récoltent les fruits de la récolte.
Le gouvernement américain a également réussi à prendre le contrôle de vastes pans du système financier canadien, une forme de colonialisme monétaire. Par exemple, les stablecoins, ces cryptomonnaies dont la valeur est indexée sur les actifs réels, sont présentés comme des outils d'efficacité. Mais en pratique, ce sont des armes de gouvernance.
Lorsque les plateformes canadiennes intègrent des pièces de monnaie stables en dollars américains émises en vertu de la loi américaine, chaque transaction — même entre deux Canadiens sur le sol canadien — est soumise aux règles américaines de lutte contre le blanchiment d’argent et de surveillance.
Cela crée une réalité absurde : les organismes de réglementation canadiens ont moins de visibilité sur les transactions nationales que les autorités américaines. Il s'agit d'un colonialisme monétaire par algorithme : une surveillance monétaire étrangère imposée par des outils numériques ; l'imposition d'une surveillance monétaire étrangère, une transaction à la fois.
Des algorithmes opaques contrôlent de plus en plus les opportunités économiques dans ce pays. Autrefois, le crédit provenait d'un banquier connaissant bien votre activité. Aujourd'hui, il est issu de modèles d'apprentissage automatique formés à l'étranger. Ces modèles sont souvent propriétaires, formés à partir de données étrangères et protégés juridiquement de tout contrôle.
Des entrepreneurs canadiens peuvent se voir refuser un financement parce qu'un algorithme les a classés comme « trop risqués » en fonction de modèles obtenus dans une autre économie. Les Canadiens n'ont aucun droit légal à une explication, et aucun organisme de réglementation canadien n'est habilité à l'exiger.
Les dispositions du chapitre 19 de l'ACEUM relatives à la propriété intellectuelle font de l'exigence de transparence algorithmique une violation potentielle du droit commercial. Les opportunités économiques fondamentales sont de plus en plus déterminées par des systèmes dépendant d'organismes de réglementation étrangers. Notre avenir financier est régi par des mécanismes internes dans d'autres juridictions.
Pendant que le Canada dort et succombe tranquillement à l’empire algorithmique américain, d’autres juridictions traitent les systèmes financiers comme des actifs stratégiques.
En Inde, l'interface de paiement unifiée traite plus de 10 milliards de transactions mensuelles sous juridiction nationale. Le règlement de l'Union européenne sur les marchés de crypto-actifs impose des restrictions strictes aux plateformes de cryptomonnaies.
Au Brésil, le système de paiement instantané Pix dessert plus de 150 millions d'utilisateurs tout en préservant le contrôle des données de transaction. De même, en Chine, le yuan numérique s'intègre aux systèmes de paiement nationaux.
Bien que leurs approches varient – protection des droits dans l’UE, nationalisme infrastructurel en Chine et partenariats public-privé en Inde et au Brésil – toutes ces approches reconnaissent les systèmes financiers comme des leviers de souveraineté.
Pourtant, alors que ces pays ont passé des années à moderniser leur législation et à développer des systèmes de paiement numérique, le Canada est à la dérive.
La Loi sur Investissement Canada ne classe pas les infrastructures financières comme stratégiques, et les acquisitions étrangères déclenchent rarement des examens de sécurité.
Les dispositions de l’ACEUM sur le commerce électronique interdisent le stockage local obligatoire et la divulgation forcée du code source, tandis que les négociations de l’Organisation mondiale du commerce menacent d’étendre ces contraintes à l’échelle mondiale.
Sans réforme, le Canada demeure un preneur de règles dans l’empire algorithmique — s’adaptant aux règles établies ailleurs mais appliquées par le biais de notre propre infrastructure.
Pour échapper au métayage numérique, il faut agir sur trois fronts : l’autorité législative, la capacité technique et le positionnement géopolitique.
Le gouvernement devrait modifier la Loi sur Investissement Canada, adopter une loi sur la souveraineté numérique et traiter les systèmes financiers comme des infrastructures essentielles, et non comme des options. Nous devons investir dans des systèmes de paiement souverains, des capacités infonuagiques et des outils de gouvernance de l'IA. Parallèlement, il devrait négocier des exceptions dans les accords commerciaux et nouer des alliances avec les démocraties de taille moyenne confrontées au même dilemme.
Cet enjeu dépasse largement une simple vente ou une entreprise de technologie financière. Il s'agit de l'architecture de l'avenir économique du Canada. Devons-nous demeurer des métayers numériques exportant de la valeur et important de la gouvernance, ou devons-nous reconquérir notre souveraineté sur les systèmes qui définissent aujourd'hui le pouvoir ?
Les enjeux sont existentiels. L'empire algorithmique ne contrôle pas seulement la finance. Ses principes s'appliquent aux communications, aux plateformes culturelles, au cloud computing et même à l'administration publique.
Le Canada est confronté à un choix déterminant : demeurer un métayer numérique en exportant de la valeur et en important de la gouvernance, ou reprendre le contrôle des systèmes qui définissent son avenir économique. Les rails de demain sont posés aujourd’hui. Si nous ne les possédons pas, nous traverserons l’empire d’autrui.
Barry Appleton est un avocat spécialisé en commerce international, membre distingué et codirecteur du Center for International Law de la New York Law School et membre de la Balsillie School of International Affairs.
National Post