Patrimoine en Dordogne : pourquoi le chantier du châtelet de Sainte-Alvère est à l’arrêt

Le monument construit entre le XVe et le XVIIe siècle a été acheté en 2022 par un particulier qui veut en faire sa maison. Le chantier traîne et les divers protagonistes s’en renvoient la responsabilité
Que se passe-t-il au châtelet de Sainte-Alvère, à Val-de-Louyre-et-Caudeau, en Dordogne ? Des travaux y ont été entamés au printemps 2024, puis stoppés après quelques mois. Un échafaudage et une grue sont toujours là, défigurant un angle de la place à l’arrière des ruines du château de Lostanges, dont le châtelet marquait l’entrée. Une situation qui suscite la crispation du maire et des voisins de ce monument érigé entre la fin du XVe et le XVIIe siècle.
Retour en 2022. Pascal Garcia-Rodriguez, guide interprète qui a passé quinze ans au Japon et vit à Bordeaux, a un coup de cœur pour le monument, lui qui se passionne pour le Moyen Âge. Il l’achète 40 000 euros et se fie à l’agent immobilier qui lui aurait assuré que les lieux seraient habitables avec 100 000 euros de travaux. Pascal Garcia-Rodriguez emprunte et se lance. Il veut faire du châtelet sa maison, avec sa femme et sa fillette de 4 ans à l’époque. Plus tard, il fera peut-être de la location saisonnière, « pour rentrer dans [ses] frais ». Il déménage avec sa famille à Mussidan pour se rapprocher du chantier, tout en travaillant encore à Bordeaux, comme son épouse.

Philippe Greiller

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L’homme de 47 ans l’admet : il n’est ni artisan, ni même vraiment bricoleur. « J’ai l’envie, les idées, mais j’ai besoin de gens compétents, artisans et architecte. » Il fait appel à Alain de La Ville, architecte à Verteillac, spécialiste du bâti ancien et des monuments historiques. « Selon le contrat, M. Garcia-Rodriguez s’engageait sur 200 000 euros de travaux TTC, honoraires compris, détaille l’architecte. Et ce montant ne suffisait pas à tout finir. »
La configuration du châtelet (des murs d’1,50 m d’épaisseur, une voûte culminant à 3,50 m de haut) et sa vétusté impliquent, en effet, des coûts bien supérieurs aux prévisions initiales de Pascal Garcia-Rodriguez, qui parle aujourd’hui de 350 000 euros. « Ce lieu est un petit trésor, mais c’est compliqué à aménager », abonde l’architecte.

Philippe Greiller
Pascal Garcia-Rodriguez lance un financement participatif sur Hello Asso et une association, Les Défenseurs du châtelet (1), pour mobiliser les particuliers et les entreprises locales. Il récolte quelques petits milliers d’euros. Une faible mobilisation qu’il regrette, tout en reconnaissant manquer de temps pour démarcher les potentiels mécènes.
Parallèlement, il fait des dossiers pour bénéficier d’aides de l’État. « Des dossiers longs à monter », soupire-t-il. Il espère 37 000 euros de l’Agence nationale de l’habitat, pour la rénovation énergétique, et un éco-prêt à taux zéro. Mais avant la rénovation énergétique, il y a le gros œuvre, le clos et le couvert. La base. Des travaux ont certes été menés, à hauteur des acomptes versés. Puis, plus rien. « Le temps qui passe et les complications financières font que les artisans ont moins confiance. Je les comprends, dit le propriétaire. Mais le risque financier, c’est moi qui le prends ! »
Frédéric Peuch est le maçon et couvreur concerné, basé à Orliac. C’était son plus gros chantier de 2024. « Très compliqué, donc très cher », confirme l’artisan, inquiet pour sa toute petite entreprise - ils sont deux. Il a besoin de clarté sur les financements avant de poursuivre les travaux. « Tout le monde a intérêt à ce que ça redémarre », assure-t-il.
Fondation du patrimoineLe maire de Val-de-Louyre-et-Caudeau, Philippe Ducène, au début « ravi » de voir un projet se dessiner, a sollicité la Fondation du patrimoine. Son représentant en Dordogne, Patrick Palem, confirme « l’intérêt historique de la bâtisse, visible du public. Ce sont les deux critères pour que la fondation intervienne. » Elle a donc délivré son label, qui permet que les travaux extérieurs soient défiscalisés, et lancé une souscription.
Patrick Palem a aussi fait le lien avec le Club des mécènes de Dordogne, qui a accordé 10 000 euros, quand la fondation elle-même en a promis 6 000. « Ces 16 000 euros sont acquis, mais ils ne seront versés qu’une fois les travaux faits », précise Patrick Palem. Le serpent se mord la queue.
Rétablir la confiancePascal Garcia-Rodriguez veut lui aussi « que l’échafaudage s’en aille et que ça avance. Je ne suis ni malveillant, ni malhonnête », plaide le quadragénaire, qui se fait désormais aider par un avocat bordelais. Il espère lâcher le logement qu’il loue pour récupérer une capacité d’emprunt : encore faut-il que les travaux avancent pour rendre le châtelet un minimum habitable. Le serpent se remord la queue.
« On est patients, d’autres l’auraient déjà mis au contentieux »
Pour l’architecte, le déblocage de la situation passe par un engagement écrit sur les financements, pour « rétablir la confiance ». « J’ai signé des devis, c’est un engagement ! », martèle le propriétaire, qui parle d’« abandon de chantier ».
La communication semble désormais compliquée entre les protagonistes, chaque côté renvoyant sur l’autre la responsabilité du blocage. « On est patients, d’autres l’auraient déjà mis au contentieux, note l’architecte. Mais on ne veut pas le mettre plus en difficulté. Il faut l’aider à aboutir. »
Pascal Garcia-Rodriguez dit ne pas beaucoup dormir, rongé par le stress et l’incompréhension, mais ne pas se décourager. « Je ne lâcherai rien pour sauver ce bâtiment. »

Philippe Greiller
(1) On peut contacter l’association sur Facebook et Pascal Garcia-Rodriguez au 07 83 91 16 97.
SudOuest