Un médecin généraliste témoigne : la CPAM de la Gironde lui demande de baisser de 20 % les arrêts maladie

Médecin généraliste sur l’agglomération bordelaise, au cœur d’une zone sensible, il figure parmi les 500 prescripteurs en France, retoqués par l’Assurance maladie pour avoir rédigé trop d’arrêts de travail. Il témoigne
Depuis la mi-juin, l’Assurance maladie a lancé une campagne de « mise sous objectif » qui concerne environ 500 médecins généralistes considérés comme étant de gros prescripteurs d’arrêts de travail. Placés sous contrôle, ils ont six mois pour diminuer leurs prescriptions de 20 %. Évidemment, il s’agit de permettre à la Sécu de faire des économies ; bien entendu, les syndicats de médecins sont vent debout.
Dans l’agglomération bordelaise, le docteur Julien (1) visé par cette procédure, a accepté de témoigner. « J’ai reçu mi-juin un coup de fil de la directrice adjointe de la CPAM [caisse primaire d’assurance maladie, NDLR] de Gironde, qui d’abord m’a expliqué la campagne nationale sur les arrêts maladie, puis m’a informé que je figurais parmi la liste des gros prescripteurs. Elle m’a placé directement sous procédure de MSO [mise sous objectif] pour six mois. J’ai refusé. »
Le docteur Julien travaille dans des quartiers sensibles, au sein d’un cabinet dont deux médecins viennent de partir à la retraite. « J’ai refusé, poursuit-il, car la CPAM se base sur des statistiques et non sur une réalité de terrain. Or, c’est la réalité des besoins sur le territoire que je couvre, en me basant sur des pathologies, pas des stats. Je travaille de 9 à 19 heures, je rentre chez moi à 21 heures, et j’ai le sentiment d’avoir pris un coup dans le dos. Je suis contraint de subir ce contrôle à partir du mois d’octobre, que je le veuille ou pas. Les personnes que je soigne sont vulnérables, des hommes qui travaillent dans le BTP, des livreurs, des femmes qui font des ménages, des aides à domicile : des métiers physiques, mal rémunérés. La majorité de ma patientèle est constituée de personnes actives qui se blessent, s’épuisent et qui, en plus des burn-out professionnels, souffrent de lombalgies, sciatiques, troubles musculo-squelettiques… Et beaucoup sont sous protection universelle maladie » (Puma).
StatistiquesAvant ce signalement de la CPAM de Gironde, le docteur Julien assure n’avoir jamais été informé d’un éventuel excès d’arrêts maladie. « Sauf une fois, où il a fallu que je m’explique et que j’argumente au sujet des arrêts longs. Mais ils ont été validés, mes prescriptions étaient justifiées. Pour la campagne de cette année, l’Assurance maladie de Gironde a relevé les arrêts maladie du 1er septembre 2024 au 28 février 2025 en prenant pour référence les statistiques nationales, régionales, sur une base de quatre médecins. Mais ça ne veut rien dire, je travaille dans un quartier socialement sensible. La CPAM me retoque pour des arrêts maladie de longue durée, qui sont les seuls à être excédentaires… »
« J’ai vécu ça comme une injustice, d’abord avec colère et aussi beaucoup de culpabilité »
Selon une étude publiée au printemps 2024 par la compagnie d’assurances Malakoff Humanis, les Français prennent 34,7 jours d’arrêts maladie en moyenne par an, ce qui représente environ, dans une entreprise de 1 000 salariés, l’équivalent de 40 emplois à temps plein. La même étude fait apparaître que quasi 20 % des salariés des entreprises françaises souffrent d’une maladie chronique.
Et les dépenses d’indemnisation des arrêts maladie ont littéralement flambé ces dernières années. Dans un entretien accordé fin juillet au journal « Le Monde », la ministre de la Santé Catherine Vautrin a annoncé les différentes pistes envisagées par ses services en vue d’économiser 5,5 milliards d’euros sur les dépenses de santé. Avec, notamment, la prise en charge des arrêts maladie par l’employeur jusqu’au septième jour. Et, donc, la limitation des arrêts de travail longue durée par les médecins les plus prescripteurs. D’autres mesures restrictives sont à l’étude.
« Je n’ai jamais abusé »« J’ai vécu cette mise sous objectif comme une injustice, relate le docteur Julien. D’abord avec colère et aussi beaucoup de culpabilité. Vis-à-vis de mes patients, inconsciemment, cette mesure va jouer sur mon rapport avec eux, et je vais prescrire des arrêts de travail a minima à des patients dont je ne suis pas le médecin référent, à l’instar de SOS Médecins. J’ai conscience que si le nombre de prescriptions d’arrêts de travail ne baisse pas, on va basculer vers la carence à sept jours, au lieu de trois aujourd’hui. Déjà, dans mon quartier, nombre de personnes qui le devraient ne s’arrêtent pas en raison de ces trois jours de carence. C’est terrible. »
L’Ordre des médecins rappelle régulièrement que « la prescription d’un arrêt de travail est tout d’abord un acte thérapeutique destiné à un patient dont l’état de santé le requiert. Il engage pleinement la responsabilité du médecin et doit être effectué dans le respect des règles déontologiques ». Le docteur Julien dit que cette mise sous objectif de la CPAM est une remise en question de sa pratique, de sa déontologie. « Je n’ai jamais abusé du système », insiste-t-il.
(1) Son nom a été changé par respect pour sa patientèle.
SudOuest