Des patients atteints de troubles psychiques stigmatisés et mis au rebut ? Ce qu’illustre la situation de l’hôpital Cochin

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« L’administration veut installer le service de psychiatrie de Tarnier dans un vieil hôpital gériatrique désaffecté et plein d’amiante » : une centaine de soignants, dont le psychiatre Mathieu Bellahsen et le pédopsychiatre Marcel Rufo, déplorent dans cette tribune le « dédain » des politiques vis-à-vis des patients en souffrance psychique.
Cet article est une tribune, rédigée par un auteur extérieur au journal et dont le point de vue n’engage pas la rédaction.
La santé mentale a été déclarée grande cause nationale pour 2025. Les pouvoirs publics ont manifesté ainsi leur soutien aux personnes atteintes de troubles et de handicaps psychiques ainsi qu’à ceux qui leur apportent les soins dont ils ont besoin dans les secteurs du sanitaire, du médico-social et du social. Dans la vraie vie, comme il est coutumier de dire, la réalité est hélas en voie de dégradation depuis des décennies. La stigmatisation dont la souffrance psychique fait l’objet reste vivace. Malheureusement, quand l’heure des décisions sonne, les actes ne s’accordent plus aux discours et l’on constate que la psychiatrie demeure, en matière de politique publique, le cadet des soucis. La prise en soins des patients s’avère de plus en plus difficile. L’exemple de la psychiatrie de l’hôpital Cochin illustre concrètement ce dédain et cette négligence.
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L’hôpital Cochin est l’un des plus grands hôpitaux de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). A ce titre, il se doit d’avoir, pour tous ses patients et tous ses services, une psychiatrie forte et bien organisée. Une partie de ses activités psychiatriques est abritée à l’hôpital Tarnier, proche de Cochin. Elle doit céder sa place au projet Institut Tarnier pour la Santé des Femmes, porté par la Mairie de Paris et l’université Paris-Cité. C’était là l’occasion d’améliorer le dispositif de psychiatrie de Cochin en regroupant toutes ses composantes sur un lieu unique et disponible, l’ancienne crèche de Port-Royal, en plein cœur de ce centre hospitalier. Cette proposition est en phase avec l’avis 147 du Comité consultatif national d’Ethique (CCNE) intitulé « Enjeux éthiques relatifs à la crise de la psychiatrie : une alerte du CCNE », qui avait recueilli de très larges soutiens : ceux des patients et de l’Unafam (Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques), celui unanime de l’équipe soignante de Tarnier, celui des collèges de psychiatries et d’addictologie de l’AP-HP, celui de nombreux chefs de service de Cochin, celui des syndicats de personnels soignants de Cochin, celui des descendants d’Eugène et Françoise Minkowski, dont ce nouvel ensemble aurait porté le nom en hommage à ces deux grands psychiatres qui vivaient à proximité de Cochin, celui enfin du Conseil de Paris, qui a voté à l’unanimité un texte dans ce sens en février dernier se terminant ainsi : « Le Conseil de Paris émet le vœu que la Ville de Paris continue les discussions avec l’AP-HP concernant le déménagement du service de psychiatrie et d’addictologie [de Tarnier] ; soutienne la proposition des personnels de regrouper ce service dans l’ancienne crèche de l’hôpital Cochin. »
Un pavillon désaffectéLes patients suivis à Tarnier reçoivent leurs soins dans un pavillon par ailleurs désaffecté et non entretenu depuis des années. On pouvait espérer qu’ils puissent enfin bénéficier de locaux dignes, mais il n’en est rien puisqu’il est proposé par l’administration qu’à nouveau ils errent dans un ancien hôpital de gériatrie, pour être probablement dans quelques années retransférés ailleurs. Dans l’immédiat, les patients ne savent même pas où ils pourront être suivis dans quelques semaines. Combien d’entre eux, fragiles ainsi malmenés vont se trouver rapidement en rupture de soins ? Qui portera la responsabilité de ces pertes de chance ?
En effet, sourde à toutes ces prises de position, insensible aux arguments médicaux et au sort des patients, l’administration veut imposer dans le courant de l’été une installation de l’unité de psychiatrie de Tarnier dans un vieil hôpital gériatrique désaffecté et vétuste lu aussi, appelé la Collégiale, situé à distance de Cochin. Cela complique terriblement l’organisation des soins et leur accessibilité. Un point essentiel concerne l’amiante très présente dans ce bâtiment, ce qui met en péril majeur la sécurité des personnels et des patients. La commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) de Cochin, réunie le mercredi 9 avril dernier, s’est prononcée à l’unanimité contre le transfert de l’unité de Tarnier à la Collégiale compte tenu des risques liés à l’amiante. L’administration considère qu’il s’agit d’une implantation provisoire en attendant une installation dans le nouvel Hôtel-Dieu, dont l’ouverture, sans cesse retardée, serait prévue pour 2028.
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La vie de l’unité de Tarnier, qui jouit d’une grande notoriété, est déjà très perturbée et désorganisée par la perspective de devoir être transférée dans un bâtiment isolé et amianté. Certains membres de l’équipe médicale partent ou sont sur le point de le faire. L’offre de soins et l’activité s’en ressentent déjà, puisque le nombre de consultations a baissé de plus d’un quart si on compare celui enregistré au 1er trimestre 2024 à celui du premier trimestre 2025.Dans ce contexte, le professeur Bernard Granger, responsable médical de l’unité de psychiatrie et d’addictologie de Cochin, a été démis de ses fonctions en janvier dernier en raison de sa contestation de telles décisions.
Il y a loin des discours aux actesDans le climat actuel où est dénoncée une forme de « maltraitance institutionnelle » à l’hôpital public en général, et à l’AP-HP en particulier, apparaissent ces discriminations à l’égard de la psychiatrie, négligeant l’avis des soignants et des patients. Elle a des conséquences qui dépassent les simples questions de localisation. Les uns et les autres deviennent des pions déplaçables au bon vouloir des dirigeants hospitaliers. Au même moment l’attractivité du métier de soignants, de la médecine, de la psychiatrie s’inscrit dans les textes de l’administration technocratique. Il y a loin des discours aux actes !
Les signataires de ce texte demandent au directeur général de l’AP-HP de reconsidérer sa décision concernant l’unité de psychiatrie et d’addictologie de Tarnier, d’organiser sans tarder son accueil au sein de l’hôpital Cochin. C’est là que sont les malades, c’est là que les soignants veulent les accueillir. Faire de la santé mentale « une grande cause nationale » implique de respecter les patients et les soignants ainsi que de conforter la démocratie sanitaire.
Signataires de la tribune
Patricia Adam-Laubret, psychiatre, membre des conseils d’administration de l’Association française de Psychiatrie, du Syndicat des Psychiatres français et du Conseil national professionnel de Psychiatrie (CNPP) ; Sophie Bauer, présidente du Syndicat des Médecins libéraux ; Franck Bayle, professeur de psychiatrie, université Paris-Cité, hôpital Sainte-Anne, membre du bureau du Syndicat universitaire de Psychiatrie ; Manon Beaudoin, psychologue, hôpital Cochin-Tarnier ; Mathieu Bellahsen, psychiatre, lanceur d’alerte Maurice Bensoussan, psychiatre, président du Syndicat des Psychiatres français, ancien président du Collège national pour la Qualité des Soins en Psychiatrie (CNQSP) et du CNPP ; Fabrice Berna, professeur de psychiatrie, université de Strasbourg ; Catherine Boileau, professeur émérite de génétique, université Paris-Cité, ancienne membre du directoire de l’AP-HP ; Jean-Jacques Bonamour du Tartre, psychiatre, ancien président de la Fédération française de Psychiatrie (FFP) et du CNPP ; Isabelle Bourgault Villada, professeur d’immunologie, université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, membre du bureau du Syndicat des Médecins des Hôpitaux de Paris ; Didier Bouscary, professeur d’hématologie, université Paris-Cité, hôpital Cochin ; Emmanuel Bui Quoc, ophtalmologiste, hôpital Robert-Debré, secrétaire général du Syndicat des Chirurgiens des Hôpitaux de Paris ; Sylvie Caira, collectif des patients de Tarnier et de leurs proches ; Charles Chapron, professeur de chirurgie, université Paris-Cité, hôpital Cochin ; Patrice Charbit, psychiatre, président d’honneur du Syndicat national des Psychiatres privés, CNPP ; Marie-José Cortés, présidente du Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux, membre du CNPP ; Luc Cynober, professeur honoraire de nutrition, université Paris-Cité, ancien président de l’Intercollégiale de biologie de l’AP-HP ;Jean-Marie Danion, professeur émérite de psychiatrie, université de Strasbourg, ancien président de la commission médicale d’établissement (CME) des Hôpitaux universitaires de Strasbourg ; Quentin Debray, ancien professeur de psychiatrie, université Paris-Cité, et ancien chef de service de psychiatrie des hôpitaux Corentin-Celton et Tarnier ; Sabine Debuly, psychiatre, membre du CNQSP, membre et ancienne présidente du CNPP ; Delphine Denis, collectif des patients de Tarnier et de leurs proches ; Franck Devulder, président de la Confédération des Syndicats médicaux français ; Dominique Dupagne, médecin généraliste, Paris ; Guita Elahi, psychologue, Paris ; Lorraine Engler Sauterey, infirmière, hôpital Cochin-Tarnier ; Eric Fakra, professeur de psychiatrie, université de Saint-Etienne ; Nicolas Georgieff, professeur de pédopsychiatrie, université de Lyon ; Delphine Glachant, psychiatre, vice-présidente de l’Union syndicale de la Psychiatrie, CNPP ; Christine Grapin-Dagorno, ancienne professeure de chirurgie pédiatrique, université Paris-Cité ; Christophe Hennequin, professeur de parasitologie, Sorbonne Université ; Dominique Israel-Biet, professeur émérite de pneumologie, université Paris-Cité, ancienne membre de la CME de l’AP-HP ; Philippe Jaury, professeur émérite de médecine générale, membre honoraire de l’Académie de Médecine ; Michel Jurus, psychiatre, président de la FFP, CNPP ; Christophe Lamisse, psychiatre, chef de département de psychiatrie adulte, centre hospitalier d’Argenteuil, coprésident du CNQSP, membre du CNPP ; Thierry Labarthe, médecin, président de l’Union régionale des Professions de Santé des Médecins libéraux de Bretagne ; Christophe Libert, pédopsychiatre, président de l’Association des Psychiatres de Secteur infanto-juvénile ; Véronique Marguillier, secrétaire médicale, hôpital Cochin-Tarnier ; Xavier Mariette, professeur de médecine, université Paris-Saclay, président de la CME locale AP-HP Paris-Saclay ; Vincent Martin, secrétaire général adjoint FO AP-HP, secrétaire de la section FO Cochin ; Catherine Masson, neurologue, membre du bureau du Syndicat des Médecins des Hôpitaux de Paris ; Denis Maurer, psychiatre, hôpital Cochin-Tarnier ; Marc Minkowski, chef d’orchestre ; Marianne Minkowski, chargée de recherche au CNRS, Paris ; Bernard Odier, psychiatre, ancien président de la FFP et du CNPP ; Yann Parc, professeur de chirurgie, Sorbonne Université, président du Syndicat des Chirurgiens des Hôpitaux de Paris ; Charles-Siegfried Peretti, professeur de psychiatrie, Sorbonne Université ; Sylvie Peron, psychiatre, ancienne vice-présidente de la Conférence des présidents de CME des centres hospitaliers généraux, membre du CNQSP et du CNPP ; Luna, Laetitia et Jacques Perraut, collectif des patients de Tarnier et de leurs proches ; Stanislas Pol, professeur d’hépatologie, université Paris-Cité, hôpital Cochin ; Charles-Olivier Pons, pédopsychiatre, président de l’Union syndicale de la Psychiatrie ; Diane Purper-Ouakil, professeur de pédopsychiatrie, université de Montpellier ; Gérard Reach, professeur émérite de médecine, Paris ; Emmanuelle Rémond, présidente de l’Unafam (Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques) ; Marcel Rufo, ancien professeur de pédopsychiatrie, université d’Aix-Marseille ; Mohamed Saoud, professeur de psychiatrie, université de Lyon ; Laurent Schmitt, professeur émérite de psychiatrie, université de Toulouse, ancien président de la CME des Hôpitaux universitaires de Toulouse ; Raymund Schwann, professeur de psychiatrie, université de Nancy ; Isabelle Secret-Bobolakis, psychiatre, secrétaire générale adjointe de la FFP, membre du CNPP ; David Soffer, psychiatre, CNQSP, vice-président du CNPP ; Brigitte Soudrie, médecine physique et de réadaptation, hôpital Marin d’Hendaye, ancienne membre de la CME de l’AP-HP ; Pascale Tincelin, assistante sociale, hôpital Cochin-Tarnier ; Sylvie Tordjman, professeur de pédopsychiatrie, université Paris-Cité ; Thierry Toussaint, psychiatre, membre CNPP ; Guillaume Vaiva, professeur de psychiatrie, université de Lille ; Aglawen Vega, secrétaire générale de la CGT Cochin ; Hélène Verdoux, professeur de psychiatrie, université de Bordeaux ; Elie Winter, psychiatre, président de l’Association française des Psychiatres d’Exercice privé - Syndicat national des Psychiatres privés, membre du CNPP ; Jean-Philippe Wolf, professeur émérite de biologie, université Paris-Cité, hôpital Cochin.
Le Nouvel Observateur