Aide à mourir : ce que permettrait ou non la nouvelle loi française

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Aide à mourir : ce que permettrait ou non la nouvelle loi française

Aide à mourir : ce que permettrait ou non la nouvelle loi française

Après un long parcours semé d’embûches, le texte sur l’aide active à mourir est arrivé, lundi 12 mai, dans l’Hémicycle. Ce projet de réforme fracture profondément le Parlement, le gouvernement et la société, où les avis divergent sur l’opportunité de faciliter l’euthanasie des personnes atteintes de maladies incurables.

Ce que prévoit le projet de réforme

Le projet de loi sur la fin de vie avait été présenté au printemps 2024 par le gouvernement Attal, mais son examen parlementaire a été interrompu par la dissolution de l’Assemblée nationale. Son retour dans l’Hémicycle au printemps 2025 s’est fait sous une forme différente : à la demande du premier ministre, François Bayrou, le projet a été scindé en deux propositions de loi d’initiative parlementaire distinctes : la première sur les soins palliatifs, et la seconde, qui concentre le plus d’attention, sur le droit à l’« aide à mourir ».

Ce deuxième texte a été adopté par les députés de la commission des affaires sociales le 2 mai. Il peut encore faire l’objet d’aménagements lors de son examen en séance, où plus de 2 000 amendements ont été déposés, avant d’être soumis au vote solennel de l’Assemblée nationale le 27 mai.

En l’état, il prévoit que l’aide à mourir puisse bénéficier uniquement aux personnes remplissant simultanément cinq conditions :

  • avoir au moins 18 ans ;
  • être de nationalité française ou résider en France ;
  • être capable de manifester sa volonté « de façon libre et éclairée » ;
  • avoir déclaré une maladie grave et incurable engageant son pronostic vital, en « phase avancée » ou terminale ;
  • présenter une souffrance physique ou psychologique « réfractaire ou insupportable ».

Le patient devra formuler sa demande auprès d’un médecin qui, après avoir recueilli l’avis d’au moins l’un de ses soignants et d’un spécialiste, devra rendre sa décision dans un délai de quinze jours. Le projet de réforme prévoit que le patient choisisse le médecin ou l’infirmier qui sera chargé d’administrer la substance létale. L’administration par un proche ou par le patient lui-même, envisagée dans le projet de 2024, est désormais exclue.

Le texte prévoit également que les professionnels puissent exercer leur clause de conscience pour refuser de pratiquer cet acte, tout en garantissant l’accès à l’aide à mourir aux patients. Une peine d’un an d’emprisonnement assortie de 15 000 euros d’amende est par ailleurs envisagée pour le fait d’empêcher ou tenter d’empêcher la pratique ou l’information sur l’aide à mourir, par tous les moyens, y compris la désinformation en ligne.

Deux ambiguïtés qui posent question

Une question importante est posée par la rédaction actuelle de la réforme : comment définir la « phase avancée » d’un pronostic vital engagé ?

Dans un avis du 30 avril rendu à la demande du ministère de la santé, la Haute Autorité de santé (HAS) estime que dans le « contexte d’une maladie incurable », cette phase « peut-être définie comme l’entrée dans un processus irréversible marqué par l’aggravation de l’état de santé de la personne malade qui affecte sa qualité de vie ». L’institution conclut à l’impossibilité d’évaluer scientifiquement le temps de vie restant à un patient atteint d’une maladie incurable et insiste sur la « singularité de chaque situation ». Elle souligne la subjectivité différente des professionnels de santé et du malade, et ajoute que « la personne malade [est] seule légitime pour dire ce qui relève pour elle de l’insupportable ».

Les critiques sur l’ambiguïté des termes employés au printemps 2024 restent ainsi toujours d’actualité. Mélanie Heard, responsable du pôle santé du cercle de réflexion Terra Nova, et Martine Lombard, professeure émérite de droit, s’inquiétaient dans une tribune au Monde que l’ambiguïté de la formulation ne vide « la future loi sur la fin de vie d’une grande partie de sa portée pratique », en laissant la responsabilité de l’interprétation aux médecins, qui seront probablement très prudents. La HAS souligne d’ailleurs l’importance d’un processus d’accompagnement et de délibération collective, impliquant « la personne malade et avec son accord, les professionnels de santé, et/ou toute personne ayant une relation de confiance et de proximité avec elle, ainsi que la personne de confiance, le cas échéant ».

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L’autre question non résolue pour le moment est celle des directives anticipées. La loi Leonetti de 2005 permet à chaque personne majeure d’exprimer ses volontés sur « sa fin de vie en ce qui concerne les conditions de la poursuite, de la limitation, de l’arrêt ou du refus de traitement ou d’acte médicaux ». Or, selon la version actuelle de la réforme, toute personne se retrouvant dans l’incapacité de formuler elle-même directement sa demande à un médecin ne pourra solliciter l’aide à mourir, même si elle l’a fait dans une directive anticipée qui a pu être réaffirmée et complétée au fur et à mesure que sa maladie évoluait.

Comment la loi française s’appliquerait à différents cas concrets ?

Les voisins de la France offrent des exemples qui permettent de réfléchir sur les conséquences de la réforme. L’assistance au suicide est autorisée ou dépénalisée dans plusieurs Etats européens, comme l’Autriche (2022), l’Allemagne (2020), l’Italie (depuis 2019) ou encore la Suisse (depuis 1942) ; l’euthanasie est légale en Espagne (2021), au Luxembourg (2009), en Belgique (2002) et aux Pays-Bas (2001).

C’est chez ces deux derniers que la pratique de l’euthanasie est la plus répandue, avec respectivement 3 423 et 9 068 cas recensés en 2023. A partir des statistiques des pathologies des malades concernés dans ces deux pays, nous avons tenté de définir si elles seraient concernées par la future loi française. Il s’agit d’une réflexion théorique, à un stade où le texte est encore loin d’être voté.

  • Les cancers à un stade avancé

Les tumeurs d’origine cancéreuse constituent la première source d’affections conduisant à une euthanasie. En Belgique, elles représentent plus de la moitié (56 %) des interruptions de vie (1 899 cas en 2023), tout comme aux Pays-Bas (5 105 cas sur 9 068 en 2023).

En Belgique, les tumeurs malignes des organes digestifs (pancréas, côlon, œsophage et estomac), respiratoires (principalement du poumon) et du sein étaient à l’origine de 60 % des cas d’interruption de vie liés à une tumeur cancéreuse.

Avec le projet de réforme tel que discuté par l’Assemblée, il serait envisageable de solliciter en France l’aide à mourir pour ces affections cancéreuses incurables à des stades avancés : elles rempliraient les conditions de la loi, car elles engagent le pronostic vital des malades en phase avancée ou terminale, et sont associées à des souffrances physiques ou psychologiques insupportables.

L’accumulation de pathologies chroniques, y compris gériatriques, peut aussi être la cause de souffrances insupportables et sans perspectives d’amélioration puisqu’une partie d’entre elles sont dégénératives, liées à l’âge. L’association des troubles induits par les différentes affections est source de souffrances physiques mais aussi psychiques : perte d’autonomie, altération de la qualité de vie, déficience sensorielle, dépression… Elles conduisent à 18 % des euthanasies aux Pays-Bas (1 599 cas) et 23 % en Belgique (793 cas).

Avec le projet de réforme tel que discuté par l’Assemblée, la prise en charge de ces polypathologies par l’aide à mourir française dépendra de l’appréciation du médecin sur le stade de la maladie du patient. En Belgique, 421 des 793 personnes qui présentaient des combinaisons de plusieurs affections chroniques réfractaires en 2023 étaient diagnostiquées avec une échéance prévisible de la mort dite « brève » (dans les jours, semaines ou mois qui viennent). A l’inverse, les 372 personnes diagnostiquées avec une échéance prévisible de la mort « non brève » ne rentreraient a priori pas dans le cadre de la future aide à mourir française.

  • Les maladies du système nerveux

Les pathologies du système nerveux – maladie de Parkinson, de Charcot, sclérose en plaques, par exemple – sont le troisième grand type d’affections pour lesquelles les malades ont le plus recours à l’euthanasie : 10 % en Belgique et 7 % aux Pays-Bas.

Ces maladies neurodégénératives entraînent des perturbations motrices et cognitives pour lesquelles toute guérison est exclue. Les traitements permettent de ralentir la progression de ces maladies, d’en diminuer les symptômes et d’améliorer la qualité de vie, mais à plus ou moins long terme, les troubles peuvent progresser et évoluer vers des handicaps irréversibles.

Avec le projet de réforme tel que discuté par l’Assemblée, la vérification de l’engagement du pronostic vital « en phase avancée » serait probablement soumise à l’interprétation du médecin. L’avis de la HAS semble ouvrir à ces malades l’accès à l’aide à mourir.

  • Les maladies de l’appareil circulatoire

Les maladies des appareils circulatoires sont principalement liées aux séquelles d’un accident vasculaire cérébral (AVC), qui peuvent provoquer une perte d’autonomie brutale et sévère et une dépendance complète. Les principales séquelles sont une hémiplégie, faible à prononcée, des troubles de la parole, des troubles sensitifs et des douleurs. Ces pathologies représentent 3 % des euthanasies réalisées en Belgique, et 4 % de celles réalisées aux Pays-Bas.

Avec le projet de réforme tel que discuté par l’Assemblée, les patients atteints de ces pathologies seraient pour la plupart écartés de l’aide à mourir, en particulier si leur pronostic vital n’est pas directement engagé.

  • Les maladies de l’appareil respiratoire

La fibrose pulmonaire est l’une des principales maladies respiratoires chroniques des personnes euthanasiées. Elle est incurable et évolutive, et les traitements ne permettent que d’en ralentir le développement. Ce type de pathologie concerne 3 % des patients euthanasiés en Belgique et 4 % aux Pays-Bas.

Avec le projet de réforme tel que discuté par l’Assemblée, le recours à l’aide à mourir pourrait être envisageable en « phase avancée » de la maladie.

  • Les maladies neurodégénératives

Ces pathologies, comme la maladie d’Alzheimer par exemple, se caractérisent par une altération croissante de la mémoire et des fonctions cognitives, ainsi que des troubles du comportement. Le processus étant irréversible, faute de traitement curatif, la maladie conduit à une perte progressive d’autonomie. Les situations de démence représentent 1 % des cas d’euthanasie en Belgique et 4 % aux Pays-Bas.

Avec le projet de réforme tel que discuté par l’Assemblée, ces affections ne pourraient pas entrer dans le cadre de l’aide à mourir. Il faudrait en effet que la personne sollicitant l’aide à mourir puisse exprimer sa demande de « façon éclairée », et même dans ce cas, son pronostic vital ne serait probablement pas encore engagé en phase avancée de la maladie. Même si la personne avait laissé des directives anticipées, pour demander à mourir lorsque la démence lui entraînerait des souffrances insupportables, celles-ci ne pourraient pas être prises en compte dans le cadre de la future loi.

Les législations belges et néerlandaises intègrent ces demandes, en s’appuyant sur les directives anticipées et la volonté exprimée par les malades lors de leurs moments de lucidité. Lorsque ceux-ci ne sont plus capables de s’exprimer, l’équipe médicale prend la décision avec une procédure très encadrée (ce qui est très rare, avec huit cas sur 336 aux Pays-Bas).

  • Les maladies psychiatriques

Les troubles psychiatriques sont rares parmi les demandes d’aide à mourir : 1,5 % des cas aux Pays-Bas et 1,4 % en Belgique.

Avec le projet de réforme tel que discuté par l’Assemblée, ces maladies seraient écartées de l’aide à mourir, car elles n’engagent pas le pronostic vital des malades.

En marge de ces pathologies les plus fréquentes couvertes par la législation de nos voisins européens, d’autres cas emblématiques ont alimenté le débat public autour de l’euthanasie en France. Ainsi, le jeune Vincent Humbert, tétraplégique, aveugle et muet après un accident de la route, qui avait demandé le droit à mourir au président Chirac en 2002, ne trouverait pas de réponse dans la future législation sur la fin de vie.

Romain Imbach

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