Taxe Zucman : comment les milliardaires attaquent l’économiste pour tuer tout débat sur la fiscalité

Chez les riches, tout allait pour le mieux, dans le meilleur des mondes. Les impôts étaient en chute libre, l’optimisation fiscale permettait d’éviter ceux qui restent, et les grandes entreprises se voyaient gavées d’argent public. À l’Élysée, les décisions étaient prises par un commis de la finance internationale.
Et le « petit peuple » regardait ailleurs, quand il ne se faisait pas réprimer en manifestation ou rouler dans la farine au lendemain des élections. La situation tenait du rêve le plus pur, tellement parfait que même une petite taxe de 2 % sur les patrimoines à 100 millions d’euros apparaît désormais comme le plus insupportable des cauchemars aux yeux des milliardaires.
Après les cris d’orfraie du Medef, du Figaro et d’économistes ultralibéraux, le dernier à avoir perdu son sang-froid devant cette mesure n’est autre que l’homme le plus riche d’Europe : Bernard Arnault. Le PDG de LVMH a qualifié Gabriel Zucman de « militant d’extrême gauche » aligné sur une idéologie qui « vise la destruction de l’économie libérale » et dont la « pseudo-compétence universitaire fait largement débat ».
L’économiste, qui n’est pas militant et enseigne à l’École normale supérieure après avoir donné des cours à Berkeley, lui a répondu que « la fébrilité n’autorise pas la calomnie », avant de lui administrer cette piqûre de rappel : « Avec la montée du trumpisme, j’ai vu fleurir ce discours dénigrant les savoirs et la recherche aux États-Unis. »
Le chercheur a également rappelé que « les milliardaires ne paient pas, ou presque, d’impôt sur le revenu » en France, et que 86 % des Français, selon l’Ifop, se disent favorables à l’instauration de la taxe Zucman. Laquelle a d’ailleurs déjà été votée à l’Assemblée nationale, avant même la chute de François Bayrou ! Et, alors, si Emmanuel Macron n’en veut pas, tout ira bien, se disaient jusque-là les plus fortunés.
Ce ne serait pas la première fois que l’on se passe de l’avis des Français et des députés élus… Sauf que le nouveau premier ministre, Sébastien Lecornu, plus que jamais sur un siège éjectable, sait qu’il va devoir faire des concessions s’il ne veut pas voir son gouvernement censuré sitôt qu’il aura été constitué. L’extrême droite, certes, fustige elle aussi la taxe Zucman, mais la question de la justice fiscale monte comme rarement dans le débat public. Cette pression populaire, doublée de la faiblesse de la Macronie au Parlement, ouvre un chemin pour revenir enfin sur les inégalités fiscales dont se goinfrent les plus riches jusqu’à en perdre toute boussole républicaine.
Car comment analyser qu’une si petite taxe puisse autant effrayer, alors que les 500 plus grandes fortunes ont vu leur richesse multipliée par six en quinze ans ? L’économiste Thomas Piketty, dans Politis, souligne d’ailleurs que la taxe Zucman tient du « minimum syndical » et qu’en l’appliquant à partir de maintenant, « il faudrait un siècle pour simplement revenir au niveau de 2010 » concernant le niveau des plus hauts patrimoines.
Pareil effort, qui viendrait ajouter un peu de justice fiscale et rapporter 20 milliards d’euros pour les comptes publics, mais sans rien changer structurellement dans l’accroissement des richesses par quelques-uns avant cent ans, serait donc absolument inenvisageable pour les milliardaires ? Voudraient-ils montrer qu’ils entendent faire sécession avec le reste de la société et que le capitalisme a atteint son stade terminal idéologique, qu’ils ne s’y prendraient pas autrement.
Sans doute ont-ils peur que la taxe Zucman, en faisant appel d’air, n’invite à d’autres réformes bien plus ambitieuses. Le gouvernement, de son côté, travaillerait à la mise en place d’une nouvelle contribution, sous une forme encore inconnue. Le ministre démissionnaire des Collectivités, François Rebsamen, jugeant « invraisemblable qu’il n’y ait pas une taxation des plus hauts revenus », plaide pour lâcher du lest, tout comme la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet.
Le macronisme triomphant a donc du plomb dans l’aile, et la gauche peut plus que jamais marquer des points. Reste à savoir ce qui sortira du bureau de Sébastien Lecornu. S’agira-t-il d’un pansement sur une jambe de bois ? Les citoyens se satisferont-ils d’un écran de fumée alors que la question centrale est celle du pouvoir économique à reconquérir ? C’est tout l’enjeu du débat public en cours. Et les milliardaires l’ont bien compris.
Nous ne sommes financés par aucun milliardaire. Et nous en sommes fiers ! Mais nous sommes confrontés à des défis financiers constants. Soutenez-nous ! Votre don sera défiscalisé : donner 5€ vous reviendra à 1.65€. Le prix d’un café.Je veux en savoir plus !
L'Humanité