«Cette histoire, absolument personne ne la connaît dans nos deux pays» : comment la première République italienne est née à Lyon en 1802 ?

Dans la chapelle de la Trinité située dans l’actuel Lycée Ampère, Napoléon Bonaparte a proclamé la création de la première République italienne. Un événement méconnu à Lyon mais également en Italie.
De la Lugdunum romaine, devenue capitale des Gaules, à la soierie en passant par la gastronomie, Lyon et l’Italie ont de tout temps partagé une histoire commune. La grande histoire de l’Italie moderne s’est d’ailleurs en partie écrite à Lyon en 1802 lors d’un épisode aujourd’hui méconnu dans les deux pays : la création de la première République italienne le 26 janvier 1802 par Napoléon Bonaparte. Alors Premier consul de la République française, Bonaparte se fait élire président de cette République cisalpine qu’il renomme République italienne après un discours d’une heure prononcé dans la langue de Dante devant près de 500 personnalités Italiennes, parmi lesquels le chimiste et physicien Alessandro Volta.
Le 27 juin 1797, date de la création de la République cisalpine, celle-ci ne concerne que les duchés du nord de la botte. Elle est dissoute en 1799, lors de la prise de Milan par l’Autriche, avant d’être restaurée par la France l’année d’après. Napoléon a alors la volonté d’unifier le nord de l’Italie pour le faire entrer dans l’orbite de la France. «Il a créé cette république pour affirmer les institutions. Mais cela s’inscrit dans une politique italienne beaucoup plus vaste. Les Français ont alors obtenu la rive gauche du Rhin et les frontières naturelles du pays sont acquises. Napoléon décide alors de passer au-delà de ces frontières naturelles en faisant du Piémont et de la Ligure des départements français en créant un bloc français au sein de l’Italie. Il ne le fait pas seulement pour ses origines personnelles mais par stratégie», détaille Thierry Lentz, historien et écrivain français spécialiste de Napoléon et des études napoléoniennes, directeur de la Fondation Napoléon depuis 2000.
Bonaparte convoque donc une consulte. Cette réunion extraordinaire se tient à Lyon, en raison de la situation géographique de la ville, à mi-chemin entre Paris et l’Italie. Pendant trois mois, les députés de la République cisalpine sont conviés entre Rhône et Saône avec leurs familles. 3000 Italiens arrivent à Lyon fin novembre 1801. «À Lyon les députés italiens étaient à l’abri des pressions locales mais en même temps totalement à la main de Napoléon», analyse Paul Chopelin, maître de conférences en histoire moderne à l’université Jean-Moulin Lyon III. Dans la ville l’événement ne donne pas lieu à de grandes festivités, poursuit-il : «Les Italiens ont vite été mal à l’aise à Lyon. Ils ont dû payer le séjour à leurs frais et Lyon était une ville chère à l’époque. Finalement ils sont repartis sans tambour ni trompette avec un sentiment de trahison», poursuit-il.
La république est finalement transformée en royaume trois ans plus tard faisant de Napoléon le seul à avoir été à la fois président de la République d’Italie et roi d’Italie. Napoléon fera d’ailleurs de nouveau étape à Lyon en 1805 lors de son voyage pour se faire sacrer à Milan.
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De cet épisode de la consulte, Lyon ne garde que peu de traces même si la chapelle de la Trinité, dans laquelle a eu lieu l’événement, existe toujours dans l’actuel Lycée Ampère. Le tableau de l’avènement, commandé au peintre Nicolas-André Monsiau, est lui rangé dans les archives du château de Versailles et n’a jamais été exposé à Lyon.
Côté italien, l’épisode a également été longtemps rangé aux oubliettes. «Cette histoire, absolument personne ne la connaît dans nos deux pays. Quand j’en ai parlé en 2000 lors de l’organisation de la fête du bicentenaire de l’événement à Lyon, j’ai contacté un professeur d’histoire milanais qui m’a dit qu’il ne la connaissait pas», se souvient Giampaolo Pinna président de la société Dante Alighieri Lyon, une institution culturelle italienne d’apprentissage similaire à l’Alliance Française. Pour lui, «cette page est peu connue parce que l’Italie en tant que telle n’existait pas à l’époque et parce que Napoléon avait envahi l’Italie ». Difficile d’en faire l’acte fondateur de l’Italie actuelle même s’il en est tout de même fait mention au sein du Museo centrale del Risorgimento à Rome.
« L’Italie c’est une histoire d’amour. Le sentiment d’être italien existait même si le pays était fragmenté géographiquement. La difficulté était alors de créer un État »
Giampaolo Pinna, président de la société Dante Alighieri Lyon
Pour autant, on peut y voir le «début de création d’une dynamique» républicaine dans une Italie fracturée à l’époque, assure Paul Chopelin. «L’Italie c’est une histoire d’amour. Le sentiment d’être italien existait même si le pays était fragmenté géographiquement. La difficulté était alors de créer un État », rappelle Giampaolo Pinna. «L’unité était relative, abonde Thierry Lentz, mais ça a donné une idée. Les Italiens se battent aujourd’hui pour savoir si cette première République était un bienfait ou non. Certains disent que ça a favorisé cette unité, d’autres le contestent. La position médiane est de dire que c’est la préhistoire du Risorgimento, période d’unification de l’Italie».
Préhistoire que le roman national italien a longtemps mise de côté pour que les guerres d’indépendances du XIXe siècle apparaissent comme le seul acte de naissance de l’Italie républicaine. Il a d’ailleurs fallu attendre l’année 2000 pour que la bannière présidentielle - qui marque la présence du président de la République dans un bâtiment - reprenne en grande partie la composition du drapeau de la première République italienne.
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