Tour de France 2025 : que change la triple ascension de Montmartre avant l’arrivée finale à Paris ?

Pour ses retrouvailles avec Paris, la Grande Boucle a vu les choses en grand. Un an après l’arrivée finale délocalisée à Nice en raison des Jeux olympiques de Paris, le Tour de France retrouve la capitale pour sa traditionnelle étape des Champs-Elysées. Une ligne d’arrivée mythique qui fête ses 50 ans et, pour l’occasion, l’organisation a décidé d’innover en intégrant la butte Montmartre au circuit final, comme lors des JO 2024. Le peloton escaladera ainsi trois fois la rue Lepic vers le Sacré-Coeur, avant l’ultime sprint de cette 112e édition.
"On n’a pas été insensibles aux images de Jeux. Ils ont cassé les barrières, pour avoir ces autorisations de passer dans Montmartre, donc on a saisi cette opportunité, raconte Thierry Gouvenou, directeur de course du Tour de France. Après 50 ans d’arrivées sur les Champs-Elysées, ça amène de l’imprévu. Comme toute nouveauté, on ne sait pas vraiment ce que ça va donner, mais ça devrait ouvrir les possibilités à plus de coureurs qu’aux purs sprinteurs, qui vont être déstabilisés, pour ceux qui n’exploseront pas dans Montmartre…"
Pensée pour fêter les 50 ans des Champs-Elysées tout en ravivant le souvenir des Jeux olympiques de Paris, un an après, cette arrivée inédite divise le peloton. Grimpée trois fois, la Butte Montmartre sera la 68e et dernière ascension classifiée (4e catégorie) du Tour. Si elle ne devrait pas peser lourd dans le classement de la montagne, la rue Lepic - dont le sommet sera à six kilomètres de l’arrivée finale - enterre certainement les ambitions des purs sprinteurs.
Actuel maillot vert de la Grande Boucle, l’Italien Jonathan Milan le regrettait d’ailleurs en mai : "Les Champs-Élysées, en tant que sprinteur, c’est quelque chose dont on rêve, c’est dommage de voir le parcours modifié". Et les flèches du peloton sont loin d’être les seuls coureurs à penser ainsi. Vainqueur de la course olympique à l’été 2024, Remco Evenepoel s’était, lui aussi, positionné contre l’ascension de Montmartre, à l’image de son compatriote Wout van Aert, pourtant avantagé par ce nouveau circuit final, mais "pas vraiment fan" de l’idée.
"Ça va être une étape dangereuse. Aux JO, on était arrivés avec un peloton de 50 coureurs alors que là, ce sera avec tout le peloton du Tour où de nombreux coureurs du classement général auront des choses à défendre. Je m’attends à du chaos."
Wout van Aert, coéquipier de Jonas Vingegaard
Désireuse de réduire le nombre de sprints sur le parcours, l’organisation du Tour n’a pas tenu compte de ces retours. "On a voulu redonner de la place aux baroudeurs et aux puncheurs. Montmartre, ça a été la cerise sur le gâteau. C’est tombé au printemps. C’est une façon de rééquilibrer le Tour", assume Thierry Gouvenou. "J’en ai parlé avec beaucoup de coureurs, la plupart regrettent ce choix, et trouvent qu’il y avait suffisamment de quoi batailler pendant trois semaines", ajoute Yoann Offredo, consultant pour France.tv.
Habitué à parader dans les rues de Paris, avant l’emballage final sur les Champs-Elysées pour le plus beau sprint du monde, le peloton va revoir ses habitudes avec cette triple ascension qui remet de l’incertitude sportive dans la dernière journée du Tour. "L’arrivée à Paris, c’est traditionnellement un défilé, tout le monde roule tranquille, savoure, boit une coupe de champagne ou autre. C'était l'occasion pour les coureurs de célébrer, de profiter. A une époque, certains prenaient même leurs enfants sur le guidon. C'était une fête ancrée dans la culture du coureur cycliste qui terminait le Tour de France, témoigne Yoann Offredo. Là, les leaders du classement général devront rester vigilants jusqu'à la fin."
Dès le mois de mai, Jonas Vingegaard, deuxième du général, ne masquait pas sa désapprobation : "Montmartre m’a semblé très beau aux Jeux olympiques, avec une très bonne ambiance. Mais quand les coureurs y sont arrivés, il en restait 50 dans le peloton. Là, on sera 150 [161 précisément] à se battre pour se positionner, sur une montée très étroite. Ça va ajouter du stress, plus qu’on ne le voudrait". Un argument balayé par Thierry Gouvenou : "Je ne crois pas que le maillot jaune sera inquiété par cette étape. Ça reste une côte de 4e catégorie. La seule différence, c’est que le maillot jaune ne boira pas le champagne en forêt de Meudon avant."
"Il y a les réactions de l'instant et celles d'après l'étape. Montmartre va faire rayonner encore plus le Tour de France et ses champions. Ce qui fait du bien au Tour de France fait du bien aux champions du Tour", ajoutait Christian Prudhomme en mai, le jour de l’officialisation de l’ajout de la butte Montmartre au parcours."C’est une arrivée qui va plaire, on l’a vu aux JO. J’avais la chair de poule devant ma télévision, et ça, c’est inestimable. Ceux qui critiquent le changement oublient qu’on doit plaire au public et ce sera une étape palpitante", se réjouit de son côté Jean-René Bernaudeau, patron de l'équipe TotalEnergies.
Reste à savoir si le peloton se livrera complètement. "C’est la dernière étape du Tour, donc les coureurs choisiront s’ils font la course, ou non", s’interroge Marc Madiot. Du côté de l’équipe Decathlon-AG2R, le directeur sportif Sébastien Joly ne laisse pas planer le doute : "Montmartre change toute notre approche de la dernière étape. On sera à fond. Paris, ça ne sera pas relax cette année, il va y avoir de la course jusqu’au bout, notamment avec Bastien Tronchon."
"Beaucoup d’équipes n’ont pas encore gagné sur ce Tour, et Montmartre sera une belle opportunité de le faire dans Paris. Nous, on fera tout pour."
Sébastien Joly, directeur sportif Decathlon-AG2Rà franceinfo: sport
Chargé de faire le service après-vente de cette nouveauté, Christian Prudhomme n’est pas inquiet : "Montmartre change forcément beaucoup de choses. Ça va permettre de faire revenir la glorieuse incertitude du sport". Le directeur du Tour de France rêve même de voir le maillot jaune s’imposer sur les Champs Elysées, ce que seul Bernard Hinault a réussi, en 1979. "Montmartre, en dehors des performances sportives, c’est l’image la plus forte des Jeux de Paris. Montmartre va faire rayonner encore plus le Tour et ses champions", assure-t-il.
Quant à savoir si cette triple ascension de la rue Lepic sera reconduite l’année suivante, et pérennisé dans le circuit final parisien, Christian Prudhomme ouvre la porte : "On verra ce que ça donnera. Parfois, il y a du provisoire qui dure, c'était vrai pour l'arrivée sur les Champs en 1975, ou pour le demi-tour sur la place de l'étoile…". Ce dont Laurent Nunez, le préfet de police de Paris, qui a autorisé ce triple passage par Montmartre, a bien conscience : "On n'est pas dupes à la préfecture de police : si cette étape se fait cette année, elle se déroulera probablement les autres années". Jusqu’à ce qu’on innove pour en fêter les 50 ans en 2075.
Francetvinfo