Squiban, la coureuse qui sait tout faire et qui n'a peur de rien
« Déjà vu » : l'exclamation fuse en français avec un fort accent étranger dans le paddock de UAE ADQ. « C'est irréel », s'extasie à nouveau Dominika Wlodarczyk, déjà estomaquée par sa coéquipière Maëva Squiban, la veille. L'exploit d'une jeune femme de 23 ans, « arrivée tard au vélo », qui a réalisé un doublé historique, vendredi à Chambéry, deux victoires en deux jours, alors qu'elle n'avait encore jamais gagné en World Tour avant jeudi matin.
Vendredi, « c'est parti d'une blague avec mon directeur sportif. Il m'avait demandé ce que je voulais faire aujourd'hui (vendredi) : "Bon, allez, km 0." Et je l'ai fait, je ne sais même pas pourquoi, parfois il ne faut pas réfléchir. »
« Elle était au-dessus du lot, les gars souffraient avec elle. »
Le président de l'AC Gouesnou
Derrière ces dehors légers, un exploit majuscule de la part de la Bretonne, un doublé historique, en solitaire à chaque fois : « Hier, c'était à la pédale, aujourd'hui en échappée. J'adore être à l'attaque. En échappée, ça en fait une victoire incroyable. » Le succès d'une attaquante née, qui se révèle au public sur la plus grande course cycliste féminine. « On voyait depuis très jeune son potentiel, elle avait un pédalage naturel très souple », témoigne Valentin Madouas, dont le premier entraîneur de Squiban, François Bramoulle, est le voisin.
Jusqu'à 15 ans, la coureuse de l'AC Gouesnou, dans le Finistère, préférait encore le VTT et le cyclo-cross à la route. François Bramoulle se souvient : « Dès les minimes, elle tenait le peloton avec les gars. On se disait : "Ça promet." Mais elle préférait s'entraîner à courir », sourit celui qui la suit dans son camping-car, dans lequel il a embarqué le père de la jeune femme.
En Bretagne, Jean-Marc Mevel fait retentir un gros rire en entendant que c'est L'Équipe, cette fois, qui l'appelle, lui le président de l'AC Gouesnou : « C'est magique... Elle est dans la forme de sa vie. On la connaît depuis treize ans, notre fils Guillaume a le même âge et Maëva, c'est la petite tête blonde qui dépassait du portail pour demander si Guillaume pouvait venir rouler avec elle. Elle était, dès le départ, au-dessus du lot, les gars souffraient avec elle. »
Son talent grandit peu à peu dans l'équipe Stade Rochelais, avant d'aboutir à son arrivée chez UAE ADQ, cette saison. Son accident dans le Var, quand elle fut percutée par un automobiliste deux mois et demi avant le Tour, a fait douter. Et surtout elle : « On a un groupe de discussions "fan club" avec son père, son entraîneur, elle et moi, confie le président. Elle disait "je suis nulle", "je n'avance plus". Et là il y a deux-trois semaines, je la voyais claquer tous les KOM (king of the mountain, sur l'application Strava) autour de Draguignan ! »
« C'est une fille intelligente, qui a la science de la course, poursuit Jean-Marc Mevel. Et elle apprend très vite de ses erreurs, là elle va beaucoup apprendre au côté de coureuses comme (Elisa) Longo Borghini. Ces performances vont entrer dans l'histoire, dans son histoire. C'est le déclic qu'il lui fallait. »
Une puncheuse, qui sait grimper, descendre, et tâte du contre-la-montre... Des perspectives au général qui ne l'enthousiasment pas forcément. « Ce que j'aime, c'est attaquer, pas forcément être fixée sur un objectif au général, évacue-t-elle. Si c'était le cas, j'aurais à rester dans le peloton, alors que c'est être à l'avant qui me plaît. Je veux juste m'amuser sur mon vélo. »
La priorité était tout autre d'ailleurs, vendredi. « Il faut que je dorme un peu d'abord, et que je passe un peu de temps dans le peloton parce que je ne vais pas réussir à monter en haut de la Madeleine si ça continue », riait la lauréate du jour. Avant une célébration un peu plus importante que la veille, tronquée par un long transfert.
Avec un verre de champagne tout de même ? « Bien sûr, c'est le protocole », s'amusait son manager espagnol. Et en compagnie de son père et François Bramoulle, qui s'apprêtaient à rejoindre leur protégée à l'hôtel UAE, pour une célébration à la hauteur de l'exploit réalisé. « Quand j'ai ramené ma médaille olympique, ils avaient bloqué la place, il y avait 300-400 personnes, dont Maëva, glisse Valentin Madouas. S'il y a quelque chose pour elle après le Tour, je serai là aussi, c'est normal. »
L'Équipe