Le renforcement musculaire est-il obligatoire si on veut progresser en course ?
Le 18 février 2024, Méline Rollin arrache le record de France du marathon en passant la ligne d'arrivée à Séville en 2 heures 24 minutes et 12 secondes, avec plus de deux minutes retranchées à son précédent record établi un an plus tôt, à Amsterdam (2h26'55'' le 15/10/2023). Entre les deux courses, sa préparation n'avait pas vraiment changé... À une exception près : la mise en place du renforcement musculaire.
« Ça a été un élément fondamental dans ma progression. Je faisais environ le même nombre de kilomètres, les mêmes séances mais j'allais plus vite sur tous les secteurs », relate l'Ardennaise.
Après le marathon d'Amsterdam, Méline Rollin tire les leçons et se rend compte que musculairement, elle peine à pousser dans les montées de ce parcours vallonné. L'athlète fait alors appel à un préparateur physique et intègre deux à trois séances de renforcement musculaire par semaine. « J'ai vite senti que ça roulait tout seul sur mes sorties, même quand il y avait une petite montée. Je me sentais plus solide et visuellement, j'étais plus dessinée au niveau des cuisses », observe-t-elle.

La Française Méline Rollin. (Presse Sports)
Le renforcement musculaire est progressivement devenu partie intégrante de la préparation des athlètes de haut niveau, quelle que soit leur discipline. L'entraîneur Bruno Gajer a été parmi les premiers à travailler sur cet aspect dès 1995 lorsqu'il intègre l'unité de ressource en renforcement musculaire au laboratoire de recherche de l'Insep. Au fil des années, il a constaté l'évolution : « Quand on voit Faith Kipyegon (détentrice du record du monde du 1 500 m en 3'48''68, le 5 juillet 2025), ce n'est pas une anorexique qui court. Avant, on voyait des gens très maigres, maintenant, même dans le grand fond, les corps des athlètes sont dessinés, c'est plus efficace ».
L'intérêt du renforcement musculaire, selon Bruno Gajer, se trouve dans la propulsion. « On va mettre plus de force dans l'appui et mieux résister à l'écrasement, c'est une vision plus mécanique que physiologique », détaille l'ancien entraîneur du champion du monde du 800m Pierre-Ambroise Bosse. Convaincu qu'il s'agit là d'un facteur indispensable de la progression en course à pied, quel que soit le niveau de pratique, l'entraîneur Frédéric Belouze en a fait un ouvrage intitulé Running renfo : La préparation physique en course à pied. À l'intérieur, les principaux axes améliorés par le renforcement musculaire y sont détaillés : l'économie de course, l'endurance, une meilleure résistance à la fatigabilité et la vitesse maximale.
L'économie de course est permise par l'optimisation de l'utilisation des muscles. En effet, la musculation permet d'améliorer le signal moteur qui donne l'ordre au muscle de se contracter. « Une meilleure conduction de ce signal favorise la capacité à utiliser plus de masse musculaire pour un même effort », explique Frédéric Belouze. Les muscles sollicités favorisent « l'avancement du bassin sur l'appui », renchérit Bruno Gajer. Au ressenti, les athlètes se sentent plus forts lorsque le pied est en contact avec le sol.
« Avant que je commence le renforcement, à partir du 2 000m, je posais le pied sur les barrières parce que je fatiguais. Maintenant je franchis directement les 35 obstacles »
Le champion de 3 000m steeple Pierre Fieux
C'est le cas de Pierre Fieux, 37 ans, double champion de France Master 0 2024 de 3000m steeple et 5000m. « Je remarque que je suis beaucoup plus fort à l'impulsion sur l'obstacle et, qu'au sol, j'arrive mieux à pousser. L'appui reste sur l'axe cheville-genou-bassin », relate-t-il. Une foulée qui reste propre est plus efficace et donc moins énergivore. Quand arrive la fin de course, la fatigabilité diminue. « Avant que je commence le renforcement, à partir du 2 000m, je posais le pied sur les barrières parce que je fatiguais. Maintenant je franchis directement les 35 obstacles », se réjouit Pierre Fieux.

On peut commencer par des exercices chez soi, à poids de corps. (Y.-M. Quemener/Presse Sports)
Les préparateurs physiques spécialisés dans la course à pied travaillent aussi sur le gain de vitesse. Bruno Gajer découpe ses cycles en deux : d'abord une montée en charge avec des poids de plus en plus lourds, puis l'introduction du dynamisme dans les exercices. « C'est une relation force/vitesse. Les temps d'appui même d'un marathonien se situent entre 250 à 300 millisecondes donc il faut produire de la force dans ce temps très court », précise-t-il. En augmentant la vitesse maximale d'un athlète, il sera en capacité d'avoir une vitesse moyenne plus haute sur un temps plus long.
« Quand tu fais 80 % d'un max qui est à 30km/h, ce n'est pas pareil que si tu fais 80 % d'un max qui est à 20km/h », démontre Frédéric Belouze. L'athlète Elisa Tripotin, spécialiste du cross et du 3000m steeple, a d'ailleurs découvert après 15 ans d'athlétisme qu'elle pouvait progresser sur ce plan. « On m'a toujours dit que j'étais bridée en vitesse alors que je viens de battre mes records sur 800m et 1500m », s'étonne l'athlète qui a commencé le renforcement musculaire il y a un mois et demi.
Chaque coureur, qu'importe son degré de pratique, peut tirer avantage du renforcement musculaire. Il faut néanmoins l'équilibrer avec le reste des entraînements. Selon Frédéric Belouze, « le ratio idéal, c'est une séance de renforcement pour trois séances de course à pied ». Pour commencer, il est tout à fait possible de réaliser des exercices chez soi, à poids de corps. « Une séance type sollicite tous les groupes musculaires : 15 minutes sur le bas du corps (jambes et fessiers), 10 minutes sur le haut du corps (bras, dos, torse) et 5 minutes d'abdos et gainage », détaille le préparateur physique qui insiste sur le fait de ne pas délaisser le haut du corps, indispensable à la dynamique de course. « La fréquence des bras participe à l'allègement du corps et aide la phase de propulsion. On le voit avec le saut en hauteur par exemple, les bras sont très actifs pour arracher le corps à l'effet de la pesanteur. »
Lors de ses sessions de musculation, Bruno Gajer s'attache à développer des exercices orientés précisément vers la course à pied. « Le squat complet n'a pas beaucoup d'intérêt par exemple, moi je favorise le quart de squat pour être proche de l'angle de course et pouvoir transférer le développement musculaire dans la foulée », justifie l'entraîneur. De son côté, Elisa Tripotin travaille beaucoup en unipodal avec son préparateur physique Francis Pamerleau qui note que l'« on oublie souvent que la propulsion se fait sur une jambe à chaque fois en course à pied. Le squat bulgare est un bon exercice unilatéral par exemple. »
Parmi les bienfaits, tous observent également un risque de blessure limité grâce au renforcement. « Aucune étude ne prouve que ça réduit les blessures mais dans la pratique, on voit que les gens qui en font se blessent moins », indique Frédéric Belouze. Le renforcement garantirait aussi une certaine longévité. À 37 ans, Pierre Fieux vient d'ailleurs de battre ses records sur 800m et 1500m, disciplines qu'il a commencées... il y a 20 ans.
L'Équipe