Documentaire « À corps perdu ». Di Meco, Trémoulinas, Rodriguez… : ils témoignent des sacrifices extrêmes pour le sport

Le documentaire de la Chaîne L’Équipe donne la parole à des sportifs de haut niveau, dont l’ancien Bordelais Trémoulinas, qui ont mis leur santé en danger pour leur carrière
L’image est poignante. Le 13 mai 2023, Bruno Rodriguez, boitant mais souriant, s’avance sur la pelouse du Parc des Princes. Son bermuda ne cache rien de la prothèse qui remplace sa jambe amputée au-dessus du genou. Une franche accolade à Lionel Messi et l’ancien attaquant corse de Metz et de Paris notamment donne le coup d’envoi du match de Ligue 1 entre le PSG et l’AC Ajaccio. Sa femme et sa fille au bord du terrain savourent un rare moment de bonheur au milieu de mois d’enfer, jusqu’à la décision de l’amputation pour tenter de calmer les douleurs insupportables dues à une cheville très abîmée sur les terrains de L1.
Ce cas, extrême, a été le déclencheur du documentaire « À corps perdu », réalisé par Jules Bian-Rosa et Sébastien Tarrago diffusé ce mardi 20 mai à 21 h 05 sur la Chaîne L’Équipe et déjà disponible en streaming. La question centrale du documentaire, simple sur le papier, beaucoup plus complexe pour ceux qui y ont été confrontés dans la réalité : jusqu’à quel point un sportif de haut niveau accepte-t-il mettre sa santé en danger pour accomplir la carrière de ses rêves ?
« J’avais l’histoire de Bruno Rodriguez, évidemment touchante et terrible, en tête. À chaque fois que je rencontrais un sportif à la retraite, je lui posais la question et de manière quasi-systématique, il me racontait des trucs le concernant lui ou des copains », détaille Sébastien Tarrago.
L’amertume de TrémoulinasAinsi, c’est à l’issue d’un match de… padel que l’ancien arrière gauche des Girondins de Bordeaux, Benoît Trémoulinas – désormais consultant à la Chaîne L’Équipe – lui a raconté ses trois années de galère à cause d’un genou usé jusqu’à l’os, les cartilages « bouffés » par de multiples infiltrations, au FC Séville. Il a finalement réussi à trouver la solution médicale qui lui permet aujourd’hui de garder une activité physique régulière. Mais, comme il le raconte dans le documentaire, le regret reste vif d’avoir dû stopper sa carrière à 30 ans avec le sentiment d’avoir encore à donner.

Photo Thierry David
Autre arrière gauche international, Éric di Meco a eu la chance de gagner la première, et jusqu’à présent seule Ligue des Champions d’un club français avec Marseille, en 1993. Mais à quel prix ? Son histoire est ahurissante : il se présente sur le terrain de la finale à Munich avec un bandage autour du genou droit tellement serré qu’il ne sent plus son mollet après trente minutes de jeu. Et pour cause : il joue malgré… une rupture des ligaments croisés. Il reprendra la compétition quatre mois seulement après l’inévitable opération, un délai bien trop court dont il subit les séquelles aujourd’hui.
Trente-deux ans plus tard, il se considère « à la limite du handicap moteur », obligé de renoncer à son métier de commentateur sur RMC Sport car incapable de supporter la douleur causée par des marches prolongées. Et s’il peut encore jouer de la basse avec son groupe de rock, c’est en se gavant d’anti-inflammatoires. « Si mon petit-fils s’approche de la piscine, ou va traverser la route, je ne suis pas sûr d’être en état de le rattraper, raconte-t-il. Et ça, c’est difficile à accepter. »
Di Meco « à la limite du handicap moteur »Lizarazu tient tête
Exemple contraire, Bixente Lizarazu a refusé la pression du Bayern Munich pour disputer la finale de la Ligue des Champions 1999 contre Manchester United après, lui aussi, une blessure au genou. Mais il fallait la force de caractère et l’intelligence du Basque – et un titre de champion du monde déjà acquis – pour savoir mettre dans la balance sa santé future face à un moment de gloire immédiat.

AFP
Le documentaire est volontairement construit comme une suite de témoignages sans contre-point des institutions. L’ancien 3e ligne du Stade Français Antoine Burban raconte les conséquences terribles sur sa vie familiale pour avoir tu une douzaine de commotions cérébrales. On frémit aux images de la gueule cassée du prometteur gardien de but de Reims Florent Duparchy sur un choc à l’entraînement. Mais la véritable blessure est cachée, cette commotion que personne n’a réparée et qui l’a obligé à stopper sa carrière à 24 ans sans garantie sur l’avenir.
L’histoire du coureur de l’équipe AG2R la Mondiale Clément Chevrier est édifiante, dans un autre style. Quand son équipe lui demande de maigrir pour « passer les cols », il s’engage sur la pente de l’anorexie, maigrissant de 70 à 45 kg. Jusqu’au moment où la Fédération française de Cyclisme conditionne la délivrance de sa licence à la reprise de poids…
Autant d’exemples douloureux qui soulignent la pression, interne et externe sur les sportifs de haut niveau. Aucun des témoins de « À corps perdu » n’élude sa propre responsabilité. Mais c’est la question, lourde, des garde-fous, de la responsabilité des entraîneurs et des entourages qui est posée. Et du difficile passage de la lumière à l’ombre, avec trop souvent des corps perdus et des vies cabossées.
SudOuest