Emplois. Reprise partielle de Naf Naf : les raisons de la crise sévère que connaît le prêt-à-porter

Plusieurs enseignes phares du prêt à porter ont tiré le rideau ces dernières années, quand d’autres ont été sauvées in extremis.
Un sauvetage très relatif. L’enseigne de prêt-à-porter féminin Naf Naf, qui était en redressement judiciaire, a été partiellement reprise ce jeudi par Groupe Beaumanoir (Caroll, Bonobo, Cache Cache, Morgan…). Le groupe a proposé de reprendre 300 salariés sur les quelque 600 que compte actuellement l’enseigne, ainsi que 12 boutiques sur les 102 existantes, mais pour les exploiter sous ses propres marques. En juin, Beaumanoir avait déjà racheté partiellement la marque chérie des ados Jennyfer, sauvant un tiers des quelque 1 000 emplois alors menacés.
Naf Naf, l’enseigne « Au Grand Méchant Look », est en difficulté depuis des années. Elle avait été placée en redressement judiciaire en mai dernier en raison de « difficultés de trésorerie », avait alors constaté le tribunal de commerce de Bobigny (Seine-Saint-Denis) dans sa décision. Une situation loin d’être rare ces dernières années, car de nombreuses enseignes de prêt-à-porter ont connu de graves difficultés, à l’instar de Kookaï, Princesse Tam Tam, Comptoir des cotonniers… D’autres ont carrément disparu (Camaïeu, Burton, Cop Copine, Kaporal, Café Coton, Olly Gan).
De nouveaux modes de consommationEt ce, en raison du bouleversement du paysage du prêt-à-porter en France ces dernières années et de la concurrence acharnée en vigueur : « Beaucoup d’acteurs se partageaient le marché du milieu de gamme. Et c’est difficile de durer dans le temps, notamment après l’arrivée en France de Zara en 1990, de H&M en 1998 et de Primark en 2013 », analyse Gildas Minvielle, directeur de l’Observatoire économique de l’Institut français de la mode (IFM). « La montée en puissance des enseignes, dites de fast-fashion, comme Zara, H & M, Primark ou Uniqlo ont pris d’énormes parts de marché. Et à cela s’ajoute le fait que les Français achètent davantage de sportswear, notamment dans les enseignes telles qu’Intersport ou Decathlon. Une nouvelle concurrence s’est développée ces dernières années avec les plates-formes asiatiques, comme Temu ou Shein », observe Christophe Noel, délégué général de la Fact (Fédération des acteurs du commerce dans les territoires).
Autre facteur explicatif : les nouveaux comportements des consommateurs, qui dépensent de moins en moins pour s’habiller. « Selon le baromètre consommateurs IFM , au premier semestre 2025, les ventes d’articles d’habillement et textile étaient en retrait de 10 % par rapport au premier semestre 2019. Car les Français font des arbitrages, notamment en raison de l’inflation. Les consommateurs sont plus rationnels, font moins d’achats coup de cœur dans le domaine de la mode et privilégie les loisirs », observe Gildas Minvielle. « Il y a très longtemps que les dépenses de consommation des Français pour l’habillement décroissent en proportion du total de leur revenu », renchérit Christophe Noël.
Par ailleurs, la perception du prix des vêtements a changé et les Français se dirigent avant tout vers des produits bon marché. « Au premier semestre 2025, 11 % des achats de vêtements concernaient la seconde main en valeur et 7 % l’ultra fast-fashion. Et les produits de milieu de gamme sont trois fois plus chers que l’ultra fast-fashion. De plus, les enseignes comme Aldi, Lidl et Stokomani qui s’intéressent de plus en plus à la mode, gagnent du terrain », constate Gildas Minvielle.
Certaines enseignes au positionnement moyen de gamme ont aussi été pénalisées par leurs mauvais choix stratégiques : « Elles ont ouvert trop de magasins et n’ont pas assez investi dans l’e-commerce ou trop tardivement », juge Gildas Minvielle. « Pour des enseignes comme Naf Naf, on peut évoquer la difficulté à capter une nouvelle clientèle, alors que leur clientèle historique vieillit, achète moins de vêtements et certainement moins dans les enseignes de sa jeunesse », ajoute Christophe Noël.
Une situation dont les conséquences sont visibles dans les centres-villes où les magasins de vêtements sont de moins nombreux. « Les Français font moins de shopping dans les centres-villes et fréquentent plus les grandes enseignes en périphérie où il est plus facile de se garer », note aussi Gildas Minvielle. Des occasions de craquer en moins.
Le Bien Public