La startup colombienne qui cherche à éviter l'émission de 17 000 tonnes de dioxyde de carbone : comment va-t-elle y parvenir ?

Une technologie pionnière pour le recyclage des batteries lithium-ion : telle est l'essence même d'Altero. Fondée en 2018 et basée à Guarne, dans l'État d'Antioquia, par la scientifique Andrea Alzate, cette entreprise colombienne vise à produire des matériaux tels que le cobalt, le lithium et le nickel, actuellement menacés de pénurie, sans recourir à l'exploitation minière.
Avec son frère, Miguel Alzate, et son père, Andrea a lancé une start-up avec un objectif clair : devenir un acteur clé de l'économie circulaire des minéraux stratégiques. Cette approche innovante et son impact positif sur la durabilité énergétique lui ont valu une reconnaissance internationale.

Les ouvriers de l'usine de Guarne, dans le département d'Antioquia, recyclent les batteries. Photo : Altero
En 2022, la Banque interaméricaine de développement (BID) a sélectionné Altero comme l'une des startups ayant le plus grand potentiel de croissance en Amérique latine , l'invitant à représenter la région lors d'un événement en Corée du Sud qui a réuni les entreprises les plus prometteuses en matière de solutions technologiques durables.
Depuis lors, l'entreprise a progressé en termes de recyclage (et de bénéfices). Rien qu'en 2024, elle a atteint 150 tonnes de batteries recyclées, soit une augmentation de 69,8 % par rapport à l'année précédente. Son chiffre d'affaires a atteint 1,85 milliard de pesos, soit une hausse de 34,5 % par rapport à 2023.
De plus, au cours des deux dernières années, l'entreprise a exporté plus de 200 tonnes d'oxydes stratégiques de cobalt, de lithium, de nickel et de manganèse , ainsi que du cuivre laminé, positionnant la Colombie comme un acteur émergent dans la chaîne d'approvisionnement mondiale des technologies propres.
On estime que 460 000 tonnes de batteries lithium-ion sont jetées chaque année dans le monde. Ces types de batteries alimentent nos téléphones portables, nos ordinateurs et nos véhicules électriques, et leur durée de vie est généralement supérieure à trois ans, bien que cela varie selon leurs caractéristiques.

Altero exporte des produits réutilisables dans les batteries. Photo : Altero
Bien qu’ils soient devenus une technologie clé pour le stockage de l’énergie, notamment dans les appareils électroniques et les véhicules, et pour les énergies renouvelables, la vérité est qu’une mauvaise gestion de ces déchets peut libérer des métaux lourds dans le sol et l’eau, affectant la santé et les écosystèmes.
Comment fonctionne le recyclage des batteries ? La technologie que nous développons nous permet de transformer les batteries lithium-ion de manière durable, sans impact négatif sur l'environnement. Il s'agit d'un procédé sec ; nous n'utilisons ni eau ni grandes quantités d'énergie.

Les batteries lithium-ion équipent les téléphones portables, les ordinateurs et les appareils électroniques. Photo : Altero
Les batteries sont d'abord broyées en atmosphère contrôlée afin d'éviter toute explosion ou réaction chimique dangereuse. Les matériaux broyés sont ensuite soumis à des processus physiques et électromagnétiques permettant de séparer et de récupérer des minéraux stratégiques tels que le lithium, le cobalt et le manganèse. Ces mêmes matériaux sont ensuite réutilisés dans la fabrication de nouvelles batteries.
L'année dernière, vous avez apporté des améliorations technologiques significatives à votre usine. Comment ont-elles été réalisées et qu'en attendez-vous ? Les optimisations visaient à standardiser notre technologie. Chaque amélioration a représenté un progrès en termes d'efficacité : augmentation du volume de recyclage et amélioration de la valorisation matière. Grâce à ces améliorations, nous avons un objectif clair cette année : recycler 400 tonnes de batteries lithium-ion. Cela a un impact environnemental significatif, car nous prévoyons d'éviter plus de 17 000 tonnes d'émissions de CO2. Notre procédé, en n'utilisant ni eau ni énergie, réduit ces émissions. Nous veillons à ce que ces déchets ne finissent pas en décharge, ne soient pas incinérés ou ne rejoignent pas les sources d'eau.
Depuis toute petite, j'ai toujours été très curieuse. J'adorais observer, mélanger et expérimenter.
De plus, en réincorporant les minéraux récupérés dans de nouvelles chaînes de production, nous évitons que ces ressources soient à nouveau extraites par l’exploitation minière, ce qui a un coût environnemental très élevé.
L'idée d'Altero est née pendant votre doctorat. Comment avez-vous donné naissance à cette entreprise ? Je suis revenu du Canada (où j'ai obtenu mon doctorat) avec une vision très claire : créer une technologie en harmonie avec l'environnement. Je l'ai partagée avec ma famille, et ils ont été les premiers à y croire. Je me souviens que mon père m'a dit : « Si tu vois les choses aussi clairement, nous te suivrons. »

Andrea Alzate est l'entrepreneur et scientifique derrière Altero. Photo : Altero
À partir de là, le défi a été de transformer ce rêve en véritable entreprise. Ce fut un parcours riche en apprentissages, avec des hauts et des bas, mais toujours fidèle à l'objectif initial. Partir d'un idéal est beau, mais cela exige aussi de faire face à la réalité et de s'adapter constamment.
Pourquoi ont-ils choisi ce nom ? « Altero » vient du mot « alter », qui signifie que nous modifions la façon dont les déchets sont perçus. Nous les considérons de manière socialement responsable.
Quel a été le moment le plus difficile dans ce processus ? Divers. L'une des plus grandes leçons a été de renoncer à la rigidité, notamment en matière de développement technologique. Au début, nous pensions que certaines conceptions étaient définitives, mais avec le temps, nous avons compris que la technologie devait évoluer avec souplesse. Cette ouverture nous a permis d'optimiser et d'innover en permanence.

L'usine d'Altero a une capacité de traitement de 90 tonnes de déchets par mois. Photo : Altero
Nous avons également connu des crises dues à des facteurs externes, comme la chute des prix des minéraux ou les récentes modifications des tarifs douaniers. Par exemple, nous exportions auparavant principalement vers les États-Unis, mais nous avons dû ouvrir des marchés en Asie. Nous avons appris qu'il ne fallait pas compter sur le marché, mais plutôt renforcer nos capacités internes pour résister à ces changements.
Vous avez dit qu'être une femme dans un domaine traditionnellement masculin, comme les sciences appliquées, n'a pas été particulièrement difficile pour vous. Est-ce toujours le cas maintenant que votre entreprise a connu une telle croissance ? Pour moi, ce fut un parcours très harmonieux. Je me suis sentie soutenue par des hommes à l'énergie très équilibrée, qui ont su valoriser ma créativité et ma vision.
En tant que femme, j'ai pu libérer pleinement mes capacités créatives et techniques dans des environnements qui m'ont soutenue, et non limitée. Je pense que c'est aussi parce que j'ai délibérément choisi de m'entourer de personnes qui partagent la mission d'Altero et croient au talent au-delà du genre.
Notre équipe s'efforce de maintenir un véritable équilibre, où les différences contribuent, et non divisent. Pour moi, l'environnement a une influence considérable, et je crois qu'il nous appartient, en tant que femmes, de créer ou de choisir des environnements qui renforcent nos capacités.
Comment avez-vous commencé les sciences ? Depuis toute petite, j'ai toujours été très curieuse. J'adorais observer, mélanger et expérimenter. Je me souviens d'avoir eu des kits de chimie avec lesquels je jouais pendant des heures. J'étais fascinée par les livres de sciences.
Cette curiosité a grandi et, dès l'université, j'ai su que je voulais consacrer ma vie à comprendre le fonctionnement du monde grâce à la science. J'ai été influencé par de nombreuses choses depuis mon enfance. D'un côté, ma mère nous a toujours encouragés à nous connecter à l'art, au mouvement et à la nature. De l'autre, mon père était entrepreneur et développeur technologique. J'ai grandi en le regardant créer.
Je me souviens qu'enfant, il travaillait avec du polyuréthane et je le regardais réaliser des réactions chimiques où le matériau se mettait à gonfler comme par magie. Voir quelque chose surgir du néant me fascinait. Dès lors, je me suis intéressé au fonctionnement de la matière, à ses changements, à ses transformations.
L'un des Objectifs de développement durable pour 2030 est de parvenir à une véritable transition énergétique. D'après votre expérience, de quoi la Colombie a-t-elle besoin pour progresser sur cette voie ? En tant que recycleurs de batteries, acteurs clés de cette transition, nous considérons qu'un des points clés est la création de politiques claires de gestion des déchets technologiques. Ces déchets constituent une source de minéraux stratégiques indispensables, mais sans un système facilitant leur collecte, leur tri et leur traitement locaux, nous perdons une ressource précieuse.
Il est essentiel de renforcer les partenariats entre le secteur privé, l'État et les régions pour garantir que ces batteries ne finissent pas par être jetées ou quitter le pays. Ici, nous pouvons les traiter, les valoriser et les réinsérer dans la chaîne de production. Il s'agit d'une véritable économie circulaire, qui doit être un élément essentiel de la stratégie énergétique nationale.
Paula Valentina Rodríguez
Éditorial imprimé d'EL TIEMPO
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